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  • : Le blog de Maya.P
  • : des romans, des contes, des histoires pour les petits, tout un espace dédié à la jeunesse mais pas seulement...
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10 mars 2010 3 10 /03 /mars /2010 12:37
PORTRAITS 

Maya avait dans l’idée de demander à Karim de lui traduire les lettres qu’elle avait découvertes dans les affaires d’Emma. Mais ils s’étaient séparés fâchés, du moins Karim  n’avait pas apprécié l’attitude de Maya à l’égard de « l’humain poilu » comme il le nommait. Lorsqu’elle se réveilla, sa priorité fut de trouver la chambre de Karim et pour cela il fallait descendre à l’accueil. Il était tôt et le petit déjeuner n’avait pas encore été servi. Elle enfila des vêtements et se rendit dans le hall.

La secrétaire, une grosse dame décolorée, sirotait son café et dégustait un appétissant croissant doré. La salle était déserte, enfin presque, car trois personnes patientaient sur les fauteuils de l’entrée. Il y avait un vieux couple assis côte à côte et  un peu plus loin un jeune homme qui feuilletait une revue.

- Que puis-je faire pour toi ? demanda la dame.

- Je voudrais le numéro de la chambre d’un ami. Il s’appelle Karim… euh… hésita-t-elle.

- Alors là, ma petite chérie, va falloir que tu m’en dises un peu plus. Comme… ( elle fit mine de réfléchir) Son nom de famille, par exemple, se moqua-t-elle.

Maya était furieuse, plus contre elle-même que contre la grosse-grosse dame condescendante.

- Je l’ai oublié. Répondit Maya.( La vérité c’est qu’elle n’en avait aucune idée. ) C’est pas grave, je repasserai lorsque cela me sera revenu.

Elle alla s’asseoir sur le fauteuil le plus proche, histoire de réfléchir à la situation et surtout histoire de trouver une solution.

Première solution : visiter toutes les chambres. A proscrire.

Deuxième solution : courir dans les couloirs en appelant  « Karim ! ». A proscrire aussi.

Troisième solution : demander au personnel de l’étage. « Pas mal comme idée ! » se dit-elle.

Maya remonta dans sa chambre et attendit bien sagement le passage de Marc le livreur de repas. Bientôt, il arriva avec son chariot et sa bonne humeur communicative.

- Bonjour, petite abeille ! que désires-tu pour le petit déjeuner ? café, lait, thé, chocolat, un peu de miel peut-être ? demanda-t-il. Ses sourcils épais exprimaient le questionnement, l’un était relevé en accent circonflexe, l’autre se fronçait au coin de l’œil. La mimique eut l’effet escompté, Maya gloussa.

- Un chocolat, s’il vous plait… et, euh…J’ai un service à vous demander.

- Oui, je t’écoute, répondit-il en servant le chocolat.

- Voilà, j’ai un ami qui est ici en ce moment mais je ne connais pas le

numéro de sa chambre. Il s’appelle Karim et…

- Oui, je vois… Karim est dans la chambre 512, mais il sort aujourd’hui… Je lui ai servi son petit déjeuner tout à l’heure, Je crois bien qu’il est sur le départ…

Maya ne lui laissa pas achever sa phrase. Elle se précipita hors de son lit contourna Marc et fila plus vite que l’air.

- biscottes ou tartines ? continua Marc sur sa lancée.

 

Elle arriva essoufflée devant la porte 512, elle se ressaisit un peu avant d’aborder son camarade, cherchant la formule la plus convaincante. Soudain,  la porte s’ouvrit…

Karim vêtu de son manteau son sac sur le dos  se retrouva nez à nez avec sa camarade. Il n’arborait plus le beau sourire rayonnant de la veille.

- Karim, tu sais j’avais quelque chose à te demander. Tenta Maya spontanément sans être persuadée du résultat.

Karim, l’évita sans lui répondre et entama sa descente vers l’accueil. Maya ne s’avoua pas vaincue et le poursuivit dans l’escalier en évitant de parler trop fort lorsqu’ils croisaient quelqu’un.

- Je t’en prie, écoute moi au moins. Ce service, j’en ai besoin pour aider mon amie Emma.

- Je me fiche de tes amies ! protesta Karim. Fous moi la paix. Ce que tu as fait hier est impardonnable… En plus, tout ça est de ma faute, je n’aurais jamais dû te montrer l’endroit…

Ils arrivèrent dans le hall, le garçon se retourna vers Maya.

-Tu sais comment ça s’appelle ce que tu as fait ? c’est de la D.É.L.A.T.I.O.N. Articula-t-il fortement, puis il fila droit vers la sortie.

Maya resta plantée sur place, mais elle répliqua avec la même force.

- JE REGRETTE INFINIMENT ! C’EST TOI QUI AVAIT RAISON A PROPOS DU MONSTRE !

Elle avait des sanglots qui lui serraient la gorge, ses yeux brillèrent subitement mais elle reteint de toutes ses forces ses larmes. Elle ne voulait rien laisser paraître, surtout ne pas montrer combien elle était vulnérable. Karim ne réagit pas à son appel, il continua son chemin et sortit de l’hôpital.

Elle resta figée, fixant la porte tournante qui s’était vidée de tout passager. Elle ne s’aperçut pas que le jeune homme installé sur l’un des fauteuils de l’entrée avait réagi à son interpellation. Ils s’était levé brusquement, avait sorti de la sacoche posée à côté de lui un appareil photo en toute hâte et s’était précipité vers elle.

-Tu es Maya ? c’est toi qui est responsable de l’arrestation du MONSTRE ! fais moi un sourire, click , il fit un cliché.  Je travaille pour le « Bulletin », click, un autre.  Tu veux voir ma carte ? click, click, click, click…

Tout en lui parlant le journaliste photographe, multipliait les photos. Maya surprise par les flashs successifs eut le réflexe de se cacher le visage de ses bras.  Aveuglée, elle plissa les yeux pour mieux voir le visage de son agresseur. Car il s’agissait bien d’une véritable agression. Encore une, après tout ce qu’elle venait de subir ces derniers jours ! Elle n’entendait pas s’offrir en pâture à un rapace de journaliste. Surtout pas à celui-ci, représentant du journal gratuit qui avait méprisé Emma et son père. Maya ne présentait qu’un visage grimaçant et perplexe, rien d’intéressant pour ce paparazzi du dimanche.

- Laissez-moi tranquille ! vous n’avez pas le droit ! cria-t-elle. A l’aide !

L’employée de l’accueil s’extirpa de sa tour de comptoirs. Encombrée du volume occupé par sa lourde carcasse, elle arriva essoufflée et s’interposa au journaliste. Celui-ci, jeune et svelte, se déplaçait avec une grande agilité. Il profitait du revêtement lisse du sol pour se laisser glisser tel un patineur sur un lac gelé, et sans la moindre gêne, il continua à mitrailler la fillette.

- Tu ne veux pas être à la une des journaux ? Click, click, click…

- NON ! rugit Maya en se déformant le visage, serrant les poings et arquant son petit corps, elle répéta : non, non et non !

Après une espèce de ballet insensé, la grosse dame réussit à faire barrage au voleur d’image.

- Monsieur, ça suffit maintenant ! ordonna-t-elle, tout en protégeant Maya derrière son énorme popotin. Sortez, immédiatement ou j’appelle la police ! adjura-t-elle, se faisant menaçante. Elle gardait la fillette à l’abri de son corps, projetant son ventre en avant dans l’espoir d’intimider le journaliste. Allez ouste ! du vent ! de l’air ! Môssieur… non mais des fois ! où se croit-on ? rajouta-t-elle triomphante, lorsque le Photographe battit en retraite.

Devant l’assaut porté par la dame décolorée, le jeune journaliste ne faisant pas le poids avait déclaré forfait et en entendant prononcer le mot  « police », il avait détalé. Néanmoins, il était satisfait car il avait des images en exclusivité de celle qui avait permis l’arrestation du fameux MONSTRE.

- BRAVO ! POUR L’ARRESTATION DU MONSTRE ! ET MERCI POUR LA POSE ! s’écria-t-il avant de disparaître.

La grosse- grosse dame offrit un verre d’eau à la fillette pour la calmer un peu. Maya furibonde, tremblait de tous ses membres. Elle ne contrôlait plus son corps. C’en était trop, après tous les évènements qu’elle avait vécus, ce journaliste du « Bulletin » venait d’en rajouter une couche. Maya se sentait honteuse, elle n’avait pas envie d’être une héroïne, elle n’en était pas une. Elle n’était qu’une fillette ordinaire, rien de plus. Elle avait envie d’être ailleurs, dans sa maison, dans sa chambre, au fond de son lit douillet avec Fripon son compagnon.

- Ça va mieux ? demanda gentiment la grosse-grosse dame, tirant Maya de ses

chimères. C’est vrai ce qu’il a baragouiné, cette espèce de pingouin à propos du MONSTRE ?

- Hum, hum… Acquiesça la fillette.

- Il a été arrêté grâce à toi ?

- Hum, hum, répondit la fillette un peu gênée.

- C’est bien toi qui est venu me demander un renseignement tout à l’heure ?

- Oui.

- Tu me parlais du jeune Karim Bélouel chambre 512 ?

- Oui. Répondit Maya qui retrouva le sourire. Bien sur ! elle se souvenait de son nom, Karim Bélouel. Sa vitalité la regagna d’un seul coup à l’annonce de cette information précieuse. Elle lui permettrait de retrouver Karim.

- Il est sorti ce matin.

- Je sais, merci quand même du renseignement. Maintenant, je vais remonter dans ma chambre.

Maya apprécia la discrétion dont fit preuve la grosse-grosse dame décolorée à propos de la dénonciation du « MONSTRE ». Elle ne posa aucune question, elle se contenta de déposer sur elle un regard empreint de bonté.

 

De retour dans sa chambre, Maya eut à peine le temps de prendre son petit déjeuner. La grande infirmière noire, qui l’avait installée la veille, vint la chercher pour les tests auxquels elle devait se soumettre. La journée passa ainsi, la fillette n’eut pas un moment pour réfléchir à ses problèmes. Seule l’heure du déjeuner fut un espace de liberté pendant lequel elle se détendit.

Tous les tests furent concluants, rien de particulier ne put être mis en évidence. Aussi le Professeur Masson Libéra Maya le soir même.

Elle prépara ses petites affaires en attendant que quelqu’un vienne la chercher. Les lettres, le journal d’Agathe, tout était en place bien rangé au fond de la poche frontale de son sac à dos. Une fois prête, elle quitta la chambre non sans avoir un dernier regard pour Jeanne toujours endormie.

Maya eut l’idée de rendre une petite visite à Emma, avant de descendre dans le hall des sorties. Elle se trouvait dans un autre bâtiment, dans le service de soins intensifs, relié à celui-ci par une passerelle. Tout en se dirigeant vers son amie, Maya  réfléchit à ce qui s’était produit depuis l’accident d’Emma. Elle lui manquait tant…

Avant d’aller la retrouver, Maya se posta devant la grande vitre au travers de laquelle elle pouvait l’observer, la regarder et surtout reprendre suffisamment de forces pour affronter son silence. Il ne fallait pas qu’Emma ressente le désarroi dans lequel elle se trouvait. L’infirmière lui avait bien expliqué, l’état de coma n’empêche pas d’être sensible aux sentiments des autres ou d’entendre leur voix. Elle ne voulait surtout pas laisser paraître ses inquiétudes, Emma était déjà prisonnière de son corps, elle ne souhaitait pas rajouter à ce stress ses propres états d’âmes. Après quelques minutes de méditation, Maya put entrer dans la pièce toute calme, seul le ronronnement de la grande rocade voisine brisait le silence pesant.

- C’est moi, c’est Maya… Je n’étais pas loin de toi ces deux derniers jours, j’étais dans l’autre bâtiment. Et tu sais quoi ? j’ai rencontré un vieux copain qui va pouvoir nous aider pour les lettres… Les lettres que j’ai trouvées dans ton dossier au club du journal. Elles sont écrites en arabe, je crois… Comme ça, on va enfin pouvoir comprendre des choses. Je vais te sortir de là,  je te le promets.

Puis, elle s’approcha de son amie, lui prit la main, la caressa et ferma les yeux. Elle se concentra de toutes ses forces pour pénétrer l’esprit d’Emma, convaincue de la secourir en recueillant le maximum d’informations. Mais Maya n’était pas préparée a affronter l’effroi…

 

Un vent glacé l’enveloppa entièrement et lorsqu’elle ouvrit les yeux, un  paysage désolé l’entourait. La nature brûlée par le froid affichait des arbres dénudés aux branches noires. par endroit, le sol semblait être coloriés au charbon. La terre entaillée de failles profondes se hérissait d’arbustes sombres.

Devant ce spectacle de désolation, Maya fut saisie d’épouvante. Au loin, se dessinait une silhouette d’enfant de son âge. Elle se tenait droite, affrontant le vent hurlant, presque par miracle. Ses vêtements battaient ses flans et ses cheveux bruns son visage, elle semblait attendre sa venue. Maya s’approcha d’elle, ce n’était pas l’Emma qu’elle connaissait, elle avait les traits d’Emma mais pas son regard. Ses beaux yeux vidés de toute expression la toisaient.

- Tu viens pour m’aider, mais sans elle tu ne peux rien. Retrouve-la et tu me retrouveras. Cherche-la, il n’y a qu’elle qui puisse me sortir des limbes où je me trouve. La dévastation de ce qui nous entoure n’est que la manifestation de ma détresse. Tu as pénétré le monde de mes sentiments, tu as su les matérialiser. Je t’en prie ne me laisse pas seule dans ma prison, retrouve ma mère… Trouve ma mère… Trouve ma mère…

Elle scandait la même phrase comme un chant magique qui progressivement s’atténua en même temps que son image disparut. Maya ouvrit les yeux, les mots d’Emma résonnaient encore en elle. Il lui fallut quelques instants pour recouvrer ses esprits. Ses membres engourdis eurent du mal à répondre avec satisfactions aux ordres de son cerveau. Enfin, lorsqu’elle put lâcher la main d’Emma tout le reste de son corps, raidi par la transe, se relâcha.

Elle se pencha sur le petit corps immobile, l’embrassa affectueusement sur le front et sortit sans dire un mot.

Le froid l’avait pénétrée jusqu’aux os, elle eut tôt fait d’enfiler son manteau de laine rouge, ses mitaines et son bonnet.

 

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9 mars 2010 2 09 /03 /mars /2010 10:39

L’homme entra, et de leur positon, les enfants purent se faire une idée sur la personne. Des pieds démesurés et poilus chaussés de vulgaires sandales laissant dépasser des ongles noirs de poussière, s’approchèrent du lit. Inutile de décrire l’odeur qui les accompagnait… Maya et Karim crurent qu’ils allaient mourir là, asphyxiés sous une vulgaire paillasse, dans un sordide sous sol d’hôpital. Ils se bouchèrent les narines pour échapper à cette subite attaque olfactive.

Des petits pas très légers sonnèrent à leurs oreilles à l’écoute de la moindre résonance.

- Anatole ! tu ne m’as pas attendue, vilain, dit la voix féminine.

Les enfants observaient les petits pieds  impeccables se mêlant aux gros dégoûtants.

- Hum… Répondit l’homme d’une voix caverneuse.

- Je t’allume la télé… Tiens voilà, installe-toi. Recommanda-t-elle en tirant une chaise.

Maya et Karim contemplèrent ce ballet de pieds humains, de pieds de chaises comme un spectacle vivant.

- voilà du chocolat, je te laisse, d’accord ? soit sage… Je reviens dans deux heures… Juste le temps de ton film.

On entendit le claquement d’un baiser et les petits pieds s’éloignèrent. Le son de la télé couvrit les paroles que les enfants échangèrent entre eux.

- On est coincé, sous le lit pour deux heures… sympa ton idée… Grommela Maya.

- Oh ! ne râle pas, regarde, il y a la place pour passer derrière lui. Répliqua Karim qui ne se laissait pas intimider.

- Tu crois qu’il ne va pas nous voir ?

- Je ne sais pas… je vais tenter, si j’y arrive tu n’auras qu’à faire comme moi.

- Non, je refuse…

- Chut ! tu parles trop fort…, si tu préfères, on va y aller tous les deux à quatre pattes. Si jamais il nous voit, on se lève et on court, dac ?

- Dac.

Les deux enfants sortirent de leur cachette. Karim, devant, progressait en rampant sans quitter des yeux l’homme. Quant  à Maya, elle collait le plus possible aux gestes de son camarade. Elle non plus, ne lâchait pas l’individu du regard. Il était gigantesque à l’instar de sa pointure. Des poils recouvraient chacune des parties de son corps qui étaient visibles. Elle aperçut son visage à la pilosité abondante.

- C’est pas possible ! se dit Maya, c’est le MONSTRE. On a découvert le monstre !

Sa gorge se noua, elle eut du mal à déglutir. Karim avait pris de l’avance et avait atteint la porte, elle se dépêcha de le rejoindre.

Enfin à l’abri dans le couloir, elle fit part de ses soupçons à Karim. Celui-ci qui n’avait pas suivit l’affaire, l’écouta sans sourciller. Elle espionna une dernière fois l’individu. Il avait un cou de taureau, des mains comme des battoirs, des bras de lutteur professionnel et sa figure, aux traits grossiers, était une caricature de l’homme. Non, il n’y avait rien d’humain en lui, Maya était sûre et certaine que cette personne était le MONSTRE.

 

Ils parcoururent le chemin qu’ils avaient empruntés précédemment en tâchant de ne pas se faire prendre. Une fois dans le hall d’entrée, Maya se précipita sur le téléphone public.

- Qu’est ce que tu fais, Maya ?

- J’appelle la police. Il faut les alerter. Tu comprends, ça fait dix ans qu’ils le cherchent et lui il est là sous nos pieds, en train de visionner tranquillement un film... Il y a au moins dix femmes qui sont mortes ou devenues folles par sa faute !

- Enfin, Maya, c’est pas parce qu’il est moche et qu’il pue qu’il doit être coupable ! Si ça se trouve c’est pas lui. Et puis, moi aussi j’ai eu le temps de l’observer et je trouve qu’il a un air inoffensif cet humain poilu…

- Tu ne peux pas comprendre, tu n’as pas suivi l’affaire… allo la police, j’ai une information de la plus grande importance à vous donner.

- Maya, c’est toi ?

Le Capitaine Piole était de service ce soir là.

- Capitaine ! il faut intervenir vite, le MONSTRE est là.

- Où es-tu Maya ?

- je suis à l’hôpital Marguerite. Et je l’ai vu de mes yeux, ce MONSTRE, cet animal infâme. Il est tapi dans les sous-sols de l’hôpital. Il est aussi effrayant que dans les descriptions qu’on avait faite de lui… J’ai peur, il faut venir vite.

- Bon, calme-toi, je viens avec une brigade.

Maya raccrocha le combiné et se retourna pour s’adresser à Karim. Il avait disparu.

 

La police débarqua plus rapidement que ce que Maya se l’était imaginé. Elle avait attendu dans un coin de l’entrée grelottant de froid et tombant de fatigue.

- Maya ! s’exclama le capitaine. Qu’est ce que c’est que cette histoire ?

- Tu es tout seul ? demanda Maya en écarquillant les yeux.

- Non, j’ai deux collègues qui arrivent. En attendant, raconte-moi ce qui s’est passé.

- On n’a pas une minute à perdre, il faut l’arrêter ! s’indigna Maya certaine de la culpabilité de  son suspect. Sur ce, elle s’élança dans le méandre des couloirs. Suis-moi, c’est par ici.

- Attends un peu, mon équipe arrive. Il fit deux pas et la rattrapa. Ne soit pas impatiente, recommanda le capitaine. Tu as bien une seconde ?  non ? rajouta-t-il en lui clignant de l’œil.

Maya dut patienter quelques minutes. Elle les conduisit au MONSTRE et les hommes de loi se mirent en place pour procéder à son arrestation.  Le MONSTRE avait les yeux rivés sur le petit écran. Il était si concentré qu’il ne les avait pas entendu arriver. Maya qui ne voulait rien perdre de l’événement s’était placée de biais à la porte.

- Ecarte-toi, murmura le capitaine.

Mais Maya ne voulut rien entendre. Elle désirait assister à l’interpellation coûte que coûte. La forte main de l’officier lui attrapa le bras et la ramena derrière son équipe armée. En quelques secondes, ils avaient pénétré dans la pièce et contrôlaient la situation. La place étant désormais libre, Maya s’approcha pour mieux voir et entendre. Le MONSTRE ne se débattit que pour finir de voir son film, il n’y avait que ça, un vieux western, qui l’intéressait. Maya se demanda même, s’il avait conscience qu’il venait d’être capturé par la police. Il regardait autour de lui, les visages impassibles des policiers,  sans rien comprendre de ce qu’il venait de se produire. Au regard de la situation, Maya eut un doute qui l’étreignit et un grand frisson lui parcourut tout le corps.

Sur le chemin du retour, c’est sans ménagement qu’ils conduisirent le MONSTRE. Les policiers se comportèrent mal, aux yeux de Maya, n’hésitant pas à se moquer de lui, à le bousculer lorsqu’ils le trouvaient trop lent, à le freiner dans son élan s’ils le jugeaient trop rapide.

Maya était mal à l’aise, quelques minutes avant, elle aurait été capable du pire à l’égard de celui qu’elle appelait le MONSTRE. Elle aurait pu le frapper de toute ses forces elle aurait même voulu le blesser, mais après avoir été témoin de l’interpellation musclée des policiers le doute avait fait son chemin.

A ce moment même, elle aurait voulu être une petite souris et s’enfuir dans un trou pour ne pas avoir à assister à cette humiliation.

-  Bravo Maya ! lança le capitaine. Je crois que nous tenons notre homme.

Maya eut une petite moue de désapprobation. Mais elle se ressaisie pour ne pas donner l’impression d’être une girouette qui tourne sur elle-même et change d’orientation selon le vent.

- Je l’espère, Capitaine.

- Ne te fies pas à sa réaction. Lui confia-t-il, car il venait de comprendre la réserve de la fillette. Tu sais ces gens sont des malades qui peuvent parfaitement nous surprendre. Tantôt ils sont totalement inoffensifs comme maintenant, tantôt ils se transforment en brutes épaisses sans scrupule… Tu peux être fière de toi, jeune fille.                                                

 

Maya regagna sa chambre accompagnée du capitaine qui la rassura une nouvelle fois.

Elle pensa à Karim, à sa mise en garde, et à Emma qui luttait toujours dans l’obscurité du coma, elle eut un dernier regard pour Jeanne qui dormait paisiblement. Puis, elle se tourna sur son côté droit face à la fenêtre et s’endormit profondément.

Cette nuit-là, elle rêva d’un MONSTRE tapi dans la forêt, l’attendant elle. Maya, terrifiée, courait pour retrouver un chemin, le chemin de sa maison où l’attendaient Emma et Karim.

 

 

 

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9 mars 2010 2 09 /03 /mars /2010 10:32
- Bon, on va voir les  résultats du scanner.

Le professeur Masson analysa les radios du cerveau de Maya et fut étonné de ce qu’il y trouva. Le bleu, qui n’avait pas bougé depuis la naissance de la fillette, s’était étendu. Il remarqua un petit renflement au centre et fut inquiet pour sa jeune patiente.

- Dis-moi Maya, rappelle-moi ce dont tu te plaignais l’autre jour.

Maya expliqua les visions, les images qui jaillissaient lorsqu’elle était en contact avec son amie. Le collier de coquillage offert, les enveloppes qui lui étaient apparues comme si elle avait eu ces objets sous les yeux.

-Bon, alors on va procéder par ordre. Le collier de coquillages t’as été offert à quel moment par rapport à ta fameuse vision. Elle a eu lieu avant qu’on t’offre le cadeau ou après ?

- Avant, pourquoi ?

- Tu penses l’avoir eu avant… bon, bon… Le Professeur Masson réfléchit à la façon d’expliquer à Maya le phénomène. Bon, voilà jeune fille, ton bleu s’est agrandi et un petit pédoncule est apparu au centre… Ce n’est pas grave, ne te fais pas de soucis. Mais, cette petite excroissance crée une pression sur ton cerveau. Tout en lui parlant, il dessinait un croquis destiné à rendre plus compréhensible son raisonnement. En réalité, il dessinait si mal que son schéma était plus confus que ses mots.

- Donc, ce petit opercule exerce une pression sur le côté temporal de ton crâne. Et il se trouve que ce morceau de ton cerveau est le siège de la chronologie et ton bleu peu provoquer des hallucinations ou chambouler l’ordre des situations que tu as vécues… J’ai tout lieu de croire que tu inverses les évènements… il marqua une pose. Voilà, tu sais tout. Lança-il en posant son stylo.

Le visage de Maya se transforma, ses yeux brillants fixaient le gribouillis du professeur, cherchant un point faible dans sa démonstration savante pour la renverser.

- Bon, ne fais pas cette tête! il ne faut pas t’inquiéter. Je vais te garder en

observation quelques jours. On va faire quelques tests, ensuite je te donnerai le traitement adéquat… Bon, dit-il en se levant de son fauteuil de cuir noir, Je vais prévenir ton père.

Il s’empara du combiné du téléphone et composa le numéro que Maya lui épela.

 

Elle  était sous le choc. Aurait-elle tout imaginé ? il avait sûrement raison. Elle avait sans doute vu les lettres, les coquillages sans y prêter attention. En revanche, elle ne s’expliquait pas les moments où les apparitions avaient lieu. La confusion s’empara d’elle et une sorte d’angoisse profonde la submergea.

Une infirmière vint la chercher pour la conduire dans sa chambre. Elle dut secouer Maya un peu pour la sortir de sa torpeur. C’était une femme grande, robuste et noire. Son sourire franc et ses yeux rieurs plurent à Maya. Elle se laissa mener dans le méandre des couloirs et des escaliers en toute confiance.

C’était une chambre double et l’autre lit était occupé par une fillette un peu plus jeune. Son crâne était enturbanné comme les fakirs indous, elle était immobile. Son  regard vague impressionna Maya.

- Qu’est qu’on lui a fait ? questionna –t-elle

- On l’a opérée hier, Chuchota l’infirmière. Elle avait une tumeur, c’est

normal qu’elle soit un peu dans les vaps.

Tout en parlant, elle préparait le lit de Maya, vérifiait que tout fut conforme.

-  C’est à cause de la perfusion… on lui injecte des médicaments contre la

douleur, très fortement dosés. ça endort. Au moins, elle ne t’embêtera pas. Ajouta-t-elle en lui clignant de l’œil. 

Maya comprit la plaisanterie et esquissa un léger sourire.

La grande femme sortit du placard une chemise bleue et la tendit à Maya.

- Tiens princesse, tu la passeras et puis au lit. Le repas ne va pas tarder à être servi. En attendant, il y a des bandes dessinées dans la table de nuit. Je me sauve, à tout à l’heure. Je passerai voir si tout va bien.

Maya s’exécuta et attendit le nez à la fenêtre. Les branches des arbres bouchaient toute la vue. Elle ne pouvait apercevoir qu’un petit bout du ciel sombre. Il faisait déjà nuit noire.

Un jeune homme entra bruyamment dans la pièce et fit sursauter Maya. Il poussait un chariot sur lequel étaient entreposés des plateaux-repas.

- Bonjour, je m’appelle Marc. je t’emmène ton repas. Tu as faim j’espère !

Maya opina de la tête.

- Tu ne t’es pas présentée, continua-t-il.

- Maya, je m’appelle Maya Poulain, répondit-elle timidement.

- Maya ? comme Maya la petite abeille ? bzz bzzz. fit-il en zigzagant tout

autour de son lit. En même temps, il installa la table à roulette et le plateau sous le nez de l’enfant.

- Voyons voir ce que le chef nous a concocté ce soir ? il retira le chapeau qui recouvrait l’assiette. Magnifique ! dit-il en humant le fumet qui s’en dégageait. Du poisson panné et des pâtes au beurre. Un repas de reine !  De reine… des abeilles, cela va de soi ! rajouta-t-il, solennellement.

Maya, séduite par cet hurluberlu se laissa aller à un petit rire embarrassé.

-Une abeille qui rit comme une petite souris… On aura tout vu ! remarqua-il en s’éloignant. Puis il disparut, tel un polichinelle réintégrant sa boîte.

 

La soirée fut longue dans sa chambre d’hôpital. Après avoir pris son repas et son traitement, Maya feuilleta le journal de sa tante Agathe mais l’écriture illisible la découragea une fois de plus et elle n’eut pas le courage de poursuivre. Les bandes dessinées mises à sa disposition ne l’intéressaient guère et elle n’avait pas  sommeil. 

Un moment, elle observa l’enfant qui dormait tout près d’elle. Elle était mignonne, son petit nez en trompette était ombré de tâches de rousseurs et sa bouche minuscule, rouge cerise luisait comme le fruit. Elle avait de longs cils sombres qui couvraient le haut de ses pommettes. Maya s’en approcha et lui caressa la main comme elle l’avait déjà fait pour Ayma.

Dans son fort intérieur elle voulait se prouver que les images perçues alors n’étaient pas une hallucination ou bien une illusion. Pour cela elle devait renouveler l’expérience. L’enfant immobile, qui s’offrait à elle, ne réagit pas à son contact. Sa respiration régulière et mélodieuse se poursuivit.

Maya avait peur, peur de ce qu’elle allait découvrir sur elle. Mais sa décision était prise. Elle serra la main de la fillette  et ferma les yeux, attendant les manifestations de son esprit émerger. C’est alors qu’elle eu une révélation.  

 

Maya sentit une douce brise lui effleurer les joues. Elle ouvrit les yeux et découvrit avec stupeur que son corps tout entier avait été transporté ailleurs. Un ciel bleu s’ouvrait à elle et partout des fleurs multicolores recouvraient des champs. Elle serrait toujours une petite main, mais la fillette se tenait droite à ses côtés. Elle était vêtue d’une robe jaune pâle et ses bandages avaient disparu. L’enfant la regardait d’un air confiant, son sourire rayonnait et elle lui parla.

- Que fais-tu dans mon rêve Maya ?

- Tu connais mon nom ? s’étonna Maya.

- Bien sûr, je t’ai entendu te présenter à Marc tout à l’heure. Alors, tu ne m’as pas encore répondue.

Maya hésita, elle ne pouvait pas lui dire qu’elle était entrée dans son esprit, cela aurait été trop compliqué.

- Je suis dans ton rêve car… Tu rêves de moi ! c’est tout bête, non ? allez viens, si on courrait parmi les fleurs.

Elle lâcha la petite main et s’élança sur le tapis fleuri.

- Hé ! Dis- moi comment tu t’appelles ? Héla-t-elle.

Jamais Maya ne s’était sentie aussi légère. Son humeur gaie la conduisit à accomplir toutes sortes de pirouettes qu’elle n’avait jamais été capable d’exécuter dans la vraie vie. C’était un moment magique et Maya le goûtait avec plaisir.

- Je m’appelle Jade…

Soudain, la porte de la chambre s’ouvrit et brusquement Maya sortit de sa rêverie. Elle était trempée, la sueur dégoulinait le long de ses tempes, de son cou, de sa colonne vertébrale. Sa tête bourdonnait, elle eut un vertige et tomba sur le carrelage.

Ses yeux s’ouvrirent sur un visage grimaçant cerné d’une chevelure noire bouclée.

- Ho là ! réveille-toi, Répéta le garçon depuis pour la énième fois en lui

tapotant les joues. Berk, en plus t’es toute trempée ! remarqua-t-il en s’essuyant les mains sur sa chemise. Comme Maya refermait ses paupières, il lui intima l’ordre de rester éveiller.

- Non, ouvre les yeux, allez, tu ne vas pas te rendormir ? et il l’empoigna par le col de sa robe l’attirant à lui.

- Non, je suis réveillée…balbutia Maya. Ecarte toi un peu… pff, j’ai du mal à respirer, dit-elle en le repoussant mollement et en prenant une grande inspiration.

En effet, le garçon était si proche qu’elle aurait pu compter ses boutons d’acné.

- Ok, je m’écarte, répondit-il vexé.

Il se releva et tendit amicalement sa main à Maya.

- Allez, viens, relève-toi.

Maya accepta la main tendue et s’en servit pour se redresser. Il la soutint jusqu'à son lit afin qu’elle puisse reprendre ses esprits.

-  Merci, dit Maya.

-  Qu’est-ce tu fabriquais, debout là, comme un fantôme ?

-  Rien, je ne faisais rien.

-  Tu es sûre, par ce que t’avais un drôle d’air… Au fait, moi c’est Karim et toi t’es qui ?

-  Maya.

-  Maya… Hum…Maya Poulain ?

-  oui, c’est bien ça.

-  tope là, Maya ! il leva la main attendant le geste en retour… comme il ne venait pas, il rattrapa son mouvement en le poursuivant, l’air de rien.

- Tu te souviens de moi ? on était dans la même école au primaire… on a

eu la même maîtresse une fois, Madame Coulombe, avec son chignon. Ça te revient ?

- Heu, oui… Madame Coulombe… ah, oui je me souviens… de toi.

Maya feint de le reconnaître, son visage ne lui rappelait personne. Pour éluder le sujet elle passa à autre chose.

Comme elle avait très soif, elle attrapa sa bouteille d’eau restée sur la table à roulette et la but d’un trait. Karim éberlué par sa descente ouvrit des yeux large comme des soucoupes. Une fois désaltérée, Maya se sentit mieux. Elle releva l’expression du garçon.

- On dirait que tu viens de voir un extraterrestre.

- C’est pas ça, mais t’as descendu un litre et demi d’un seul coup.

- Dis-moi, tu venais faire quoi dans ma chambre ?

- Je t’ai sauvée et c’est comme ça que tu me remercies ?

- Tu n’as pas répondu à ma question.

- En fait, je venais voir ma copine Jeanne. Répondit-il en désignant du pouce la fillette endormie.

- Ah ! Jade.

- Jade ?! c’est qui celle-là. Non, pas Jade, Jeanne. J’en suis sûr, regarde c’est écrit là. Il lui montra la feuille d’enregistrement accrochée au pied du lit.

Maya fut troublée, Jade était le prénom de sa mère. Comment avait-elle pu faire cette confusion ? Karim la tira de ses pensées.

- Ça fait une semaine qu’on se retrouve le soir pour faire… il hésita, et chuchota à l’oreille de Maya en utilisant sa main pour éviter que sa voix ne se sauve. T’aimes les chocolats ?

- Oui, j’adore.

- Alors, suis-moi, je vais te montrer la réserve à chocolat…

Il attrapa Maya par la main et l’entraîna hors de la chambre. À la lumière blafarde, les deux enfants en chemise avaient l’air de spectres hantant les couloirs de l’hôpital. Il était tard et la majorité du personnel avait quitté l’établissement, ne restait que l’équipe de garde qui se réduisait à une personne par étage. Karim avait l’air de connaître les lieux comme sa poche. Il circulait sans se poser de question sachant exactement où se trouvait le poste des infirmières, l’escalier de service, la salle d’attente des patients externes.

-  Suis-moi et fait exactement ce que je te dis. Si on se fait pincer, on aura qu’à dire qu’on ne se connaît pas et qu’on s’est perdu.

Maya, se demanda ce qu’elle était en train de faire avec ce garçon qu’elle connaissait à peine. Elle s’était laissée entraîner par faiblesse, parce qu’elle n’était pas remise de son expérience. Paula ou Laura,  quelle importance ce qu’elle venait de vivre était unique et merveilleux, un peu comme un rêve éveillé. Et maintenant elle dévalait les couloirs les escaliers, suivait avec une totale confiance un parfait inconnu. Un moment, elle se demanda s’il n’était pas à la solde des hommes à la casquette, s’il n’était pas en train de l’enlever avec son consentement. Elle freina brusquement dans sa course, le laissant aller au-devant tout seul. Il se retourna, la questionna du regard. Un sourire illumina son visage, il lui fit signe de le rejoindre. Il avait le regard franc, des dents écartées d’un blanc éclatant et sa chevelure lui apparut plus dense qu’elle ne l’avait observée précédemment. Tout dans sa physionomie inspirait la confiance. Enfin, elle se rappela le garçon du primaire, un petit bout de choux remuant et sympathique qui la suivait partout. Jamais, elle n’aurait cru que celui qu’elle considérait comme un avorton alors, aurait pu devenir un garçon si beau et si baraqué.

- Qu’est ce que tu attends, viens. articula-t-il à voix basse. Maya se rapprocha et ils filèrent dans l’escalier. On est presque arrivé, tu vas voir c’est le paradis pour les amoureux du chocolat ! il était si enthousiaste qu’il attrapa Maya par la main et ainsi liés ils dévalèrent la spirale de marches.

Ils débouchèrent dans un étroit corridor gris et sombre, à peine éclairé par des lanternes veilleuses. Au plafond la tuyauterie était apparente et donnait au lieu, l’allure d’un sous marin. Il n’y avait pas de carrelage sur le sol seulement un revêtement de béton.

- Où m’entraînes-tu ? osa demander Maya, pas très rassurée depuis qu’ils avaient abouti dans cette sorte de tunnel.

-  Chut ! nous sommes dans les entrailles du vaisseau. Reste là, je reviens.

Karim donnait l’impression de savoir ce qu’il faisait. Mais l’endroit était glauque. Un bruit sourd de chaufferie et le souffle d’une turbine d’aération étaient mêlés en une cadence régulière qui semblait être la respiration d’une armée de géants dissimulés derrière les murs.

Les quelques minutes passées à attendre Karim parurent à Maya des heures tant elle avait peur de voir déboucher un monstre. « il est long, il est vraiment long… » pensa-elle. Elle était sur le point de rebrousser chemin lorsqu’elle le vit au loin gesticulant et lui faisant signe de venir.

Sans attendre une seconde de plus elle le rejoignit.

- Où m’entraînes-tu ? c’est pas super ici, demanda Maya inquiète.

- Ferme les yeux.

Maya s’exécuta même si elle aurait préféré être ailleurs. Il se plaça derrière elle, posa ses mains sur ses épaules et la poussa en avant de quelques pas.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle fut étonnée. La pièce colorée jaune orangé tranchait avec l’extérieur. C’était une sorte de cuisine aménagée, au centre de laquelle se trouvait cinq ou six chaises et une table ronde sur laquelle étaient disposés des biscuits, deux tasses remplies de chocolat chaud et des fleurs. Maya laissa échapper un soupir d’extase.

- Tu as vu ? c’est pas du bidon, hein ? et derrière le paravent, il y a un lit. Et dans les placards il y des chocolats, des tablettes et même des gâteaux.

Il énumérait les victuailles tout en ouvrant les placards pour montrer à Maya la richesse et l’abondance en chocolat.

- Tu le connais comment cet endroit ? comment tu l’as trouvé ?

- Je passe mon temps à me balader dans cet hôpital chaque fois que j’y viens, à force on découvre. Installe-toi.

Ils se mirent à table, consommèrent leur boisson et grignotèrent leurs biscuits tout en bavardant.

- Et c’est quoi ton truc à toi ? euh, enfin , ton problème… Demanda Maya.

- Moi, j’ai des crises d’épilepsie, parfois elles sont très fortes et ils me gardent quelques jours. Et toi ?

- Moi, j’ai un bleu au cerveau.

- Waw ! comment t’as fait pour te faire un bleu dans le crâne ?

- Ça, je ne sais pas, par contre il me donne un pouvoir… Je peux lire dans les pensées. Ajouta-t-elle avec un air mystérieux.

- Pff, je ne te crois pas. Tu te moques.

Karim éclata d’un rire franc, Vexée Maya le provoqua.

- Essayons si tu veux. Et si ça marche, alors tu devras me rendre un service.

- Ça dépend du genre de service. Se méfia Karim.

- Un genre que tu peux me rendre facilement. Tu marches ? ou bien tant pi,

tu ne connaîtras jamais mon super pouvoir.

- Je marche.

- Donne-moi ta main, ensuite il faut que je me concentre.

Elle attrapa la main du garçon et ferma les yeux.

- Si tu le ne sens pas, c’est pas la peine ! lança Maya un peu en pétard.

- Pourquoi tu dis ça ? j’ai rien dit.

- Alors, tu l’as pensé ?

- Je ne sais pas, non… Non… J’ai pensé à rien.

- Pense à un autre truc. Attends, je me concentre. Oh ! ça ne marche pas !

allez pense à un objet.

- Chut ! attention, on vient.

En effet, des bruits de pas lourds se rapprochaient de la salle. L’impact sur le sol était bruyant et accompagné de vibrations. On aurait dit un éléphant qui se déplaçait.

- Qu’est ce que c’est ? Murmura Maya.

- Je sais pas… En tout cas c’est gros. Allez, viens faut qu’on file.

Il se mit à quatre pattes, fit dépasser le bout de son nez à l’entrée. Malheureusement, on arrivait et ils n’eurent plus le temps de partir. D’un bond, Karim attrapa Maya par le bras et l’entraîna avec lui sous le lit. Serrés l’un contre l’autre, ils attendirent.

 

 

 

 
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4 mars 2010 4 04 /03 /mars /2010 14:45

Maya ne put échapper à Madame Hilly qui l’attendait devant la porte du centre de documentation du collège. Celle-ci remarqua la mine froissée de la fillette et s’abstint de tout commentaire pouvant l’embarrasser. Elle ne releva pas son retard et se contenta de l’accompagner auprès de ses camarades qui commençaient la mise en page de l’hebdomadaire. C’était une femme pudique, profondément humaine cachée derrière de grosses lunettes aux montures en écaille. Ses cheveux tirés lui donnait une allure austère et un brin sévère. Perspicace, elle avait immédiatement compris que Maya n’était pas dans son assiette.

En effet, le matin, la fillette était partie à toute vitesse, car malgré la sonnerie stridente et répétitive de son réveil, elle s’était rendormie à poings fermés. Joaquim dut la secouer plusieurs fois pour la sortir du lit. Elle eut juste le temps de sauter dans ses vêtements, de glisser le journal d’Agathe dans ses affaires, de croquer dans une pomme pour ne pas partir le ventre vide et de filer directement vers l’arrêt de bus.

 

Sarah et Malika travaillaient à la gazette du collège avec Maya. En général les articles traitaient des évènements de la semaine, la cantine, les problèmes que pouvaient rencontrer les adolescents. On y trouvait des rubriques consacrées aux animaux, aux métiers, aux voyages, bref on ne manquait pas de matière à développer. Le sujet le plus important de la semaine était l’accident d’Emma et Maya désirait qu’on accorde à cet événement sa juste place. Bien entendu, compte tenu de la nouvelle de l’assassinat du père d’Ayma, elle n’entendait pas traiter l’affaire en la banalisant mais au contraire, elle souhaitait donner son avis et ses soupçons concernant l’évènement . Elle voulait par-dessus tout faire réagir les lecteurs. Ses deux camarades avaient écrit un article dont elle n’était pas satisfaite.

- écoute, Malika, je trouve que tu devrais développer un peu plus. Emma est aujourd’hui dans le coma, son père a été tué. On peut dire qu’Emma a été agressée, que ce n’est pas un accident comme on a voulu nous le faire croire dans la presse régionale. C’est la première chose que nos lecteurs doivent lire,  expliqua Maya.

- Ok, mais qu’est ce que je fais de l’article sur le métier d’éthologue ? Il est long et la semaine dernière on l’a déjà remplacé.

-  Je vais réfléchir, peut-être qu’il y a moyen de le raccourcir un peu.

- Alors là, pas question ! s’indigna Sarah, j’y ai travaillé deux semaines. J’ai pas envie qu’on en retire un seul mot.

- D’accord, opina Maya on a qu’à sacrifier le paragraphe sur les coquillages…Elle s’arrêta tout net. Ce ne serait pas l’article d’Emma ? demanda-t-elle.

- Hum, hum, approuva Sarah d’un mouvement de tête.

- Donne-le moi, s’il te plait, j’aimerais le lire.

  L’article ventait la beauté des coquillages de l’île de Paradis. On y trouvait une description et le polaroïd d’un collier identique à celui qu’Emma lui avait offert. L’île de Paradis avait été évoquée par le père d’Emma et  le collier de coquillages, elle le portait en ras de cou. Persuadée que ce fil conducteur la mènerait quelque part, elle chercha une piste, un détail qui pourrait la mettre sur la bonne voix. En vain, cet article ne lui apportait rien de plus qu’elle ne connaissait déjà mais il ne lui semblait pas abouti. Cela lui donna l’idée de chercher dans la documentation d’Emma.

- Vous n’auriez pas vu le dossier d’Emma sur cet article ?

- Si, il est sur le bureau de Madame Hilly, répondit Malika. Alors, qu’est ce qu’on fait, on le supprime ?

- Oui, supprimez-le. Approuva sans hésitation Maya. Il est incomplet, de toute façon.

Le professeur confia bien volontiers la petite pochette à Maya qui s’installa sur une table isolée afin d’en examiner le contenu tranquillement. Elle y trouva des découpages de revues, quelques gros titres provenant de magazines divers, d’anciens articles rédigés.

Elle Eplucha toute la documentation, lisant le moindre papier, scrutant la moindre image à l’affût d’un détail parlant. Le dossier au complet était étalé, sur la table, sous ses yeux. Rien ne la frappait, elle allait renoncer quand le bout d’une petite enveloppe de kraft brun  se dégagea tout à coup. Comment ne l’avait-elle vue avant ?

Elle la renversa pour en vider le contenu. Deux enveloppes blanches de petit format glissèrent. Immédiatement, Maya reconnut les lettres. Elles correspondaient exactement aux images imprimées dans son esprit au contact d’Emma à l’hôpital.

Le souffle coupé, elle réprima avec difficulté un vertige et dut soutenir sa tête trop lourde. Si elle avait pu, elle l’aurait retirée et posée sur la table. Cela n’échappa pas à Madame Hilly qui s’enquit de sa santé.

- ça va bien, s’empressa de répondre Maya, je réfléchis.

Elle fixait les deux enveloppes blanches. Tout concordait, les timbres, l’écriture, la forme des enveloppes.

Un instant, elle hésita à les lire, à entrer dans l’intimité de son amie. Pourtant c’était nécessaire si elle voulait faire avancer l’enquête. Elle mit de côté ses réticences, tira délicatement le papier blanc et tout aussi soigneusement le déplia.

Maya fronça les sourcils, elle ne comprenait rien du tout, pas le moindre mot. Les inscriptions étaient très élégantes tout en rondeur, surmontées de petits points de temps en temps. Pour sûr, il s’agissait d’une langue étrangère, mais laquelle ? pas du russe, l’alphabet était bizarre mais rien à voir avec ces caractères là. Non ça ressemblait d’avantage à une écriture nord africaine. Elle en était Maintenant certaine, mais pas plus avancée.

Pour finir le tampon de la poste illisible empêchait de déterminer l’origine de l’envoyeur.

La deuxième lettre était presque identique à la précédente. La déception de Maya  fut grande. Elle, qui croyait avoir fait une découverte exceptionnelle. En tous cas, en l’état, ces courriers n’étaient pas exploitable.

« va falloir mettre quelqu’un dans la confidence… quelqu’un de confiance qui sait lire l’Arabe. Ça va pas être du gâteau… » songea-t-elle.

 

Tout au long de la journée, elle pensa à ces lettres mystérieuses qui allaient sans doute lui en apprendre beaucoup sur son amie. Elle pensa aussi au journal de sa tante Agathe qui pourrait peut-être lui révéler un peu de son histoire à elle.

Pendant les cours, elle flotta. Son corps était présent mais sa pensée vagabonde. La réalité présente ne l’atteignait plus, les quelques piques désagréables qu’on lui envoya n’eurent aucun effet. Elle ne répondit pas, elle ne prit pas la fuite, non… elle passa son chemin sans voir, sans entendre, sans reconnaître.

Le coton qui l’enrobait était confortable et doux et c’est dans cet état d’esprit que se déroula sa journée au collège.

 

Son père l’attendait devant l’établissement, lui aussi était perturbé par la situation actuelle. Il se sentait observé et suivi, se retournait constamment pensant surprendre un éventuel agresseur ; dévisageant tous les hommes portant une casquette, s’imaginant qu’ils pouvaient être l’un des brigands. Mais il n’y avait ni bandit, ni tueur, rien que des gens normaux vaquant à leurs occupations ordinaires. Cette appréhension l’accompagna jusqu’à ce qu’il récupère sa fille. 

-       Alors ta journée ? tenta le père.

-       Bof… fit la fille

Puis, sur le trajet de l’hôpital, à bord leur vieille voiture, ils n’échangèrent pas un mot chacun préférant garder pour lui ses peurs. Maya, le nez collé au carreau du véhicule regardait sans les voir les passants, la ville et ses lumières.

- Joaquim va demander à prolonger sa permission pour rester davantage avec nous. Ça te fait plaisir ? finit-il par dire.

Maya la mine réjouie esquissa un petit sourire.

- Tu sais ma chérie, faut pas t’en faire on est là tous unis pour te protéger.

- Mais qui va protéger Ayma maintenant ? elle n’a plus personne. Chuchota la fillette.

- Elle nous a nous. On est là pour elle aussi, fais-moi confiance.

Ils étaient arrivés. Le chemin avait été long, le trafic, l’allure lente, et les pensées lointaines.

La portière claqua. Maya, droite, face à l’établissement gris s’engageait sur le passage clouté, lorsqu’elle se ravisa et revint sur ses pas. Elle se pencha vers la vitre baissée de son père.

- Je t’aime papa…

- Moi aussi je t’aime, ma petite fille...

Ils se séparèrent. Maya fila et s’engouffra dans le bâtiment.

 

 

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 23:01

                

    « Cet après-midi Monsieur Rénald PDG de KOOR a été assassiné à son domicile d’une balle en pleine tête. Malgré l’arrivée des secours en un temps record, Monsieur Rénald, défiguré, a succombé à ses blessures. La police mène l’enquête et aucune piste ne semble se détacher pour le moment. Monsieur Rénald n’avait plus beaucoup d’amis dans la région en raison des nombreux licenciements dont il était à l’origine. Ses méthodes étaient décriées par l’ensemble des ouvriers de l’usine. Peu ou pas de dialogue et souvent une grande distance avec ses employés. Pourtant l’homme, travaillait dans l’ombre à l’élaboration d’un projet dans un secteur de pointe qui aurait pu sortir la région de la crise dans laquelle elle est plongée depuis bientôt trois ans. Sa mort, va retarder le projet et du coup porter un grave préjudice aux travailleurs laissés sur le carreau. Il comptait le rendre public prochainement, n’est-ce pas Monsieur Mauron ?... »
 

Maya avait tiré une chaise jusque devant le poste de télévision, son père se tenait debout à ses côtés. Ils s’étaient rapprochés pour mieux voir et mieux entendre les nouvelles.

- Nom d’un chien, le monde est devenu fou ! s’exclama Monsieur Poulain.

Très énervé, anxieux, ne tenant pas en place, il arpenta la pièce de long en large.

Serrant Fripon dans ses bras, Maya était captivée par les images diffusées au journal télévisé. Le chat venait de rentrer le jour même après trois mois de fugue. Il se frottait sur la joue de sa petite maîtresse et ronronnait bruyamment. Sa chaleur, ses câlins apportaient un peu de bien être à Maya.

« Finalement, le père d’Emma était un homme bien… » pensa-t-elle.

Elle fut coupée dans sa réflexion par son père.

- Tu dis qu’on a voulu me faire accuser du meurtre… mais qui…qui pourrait m’en vouloir… qui tiendrait à m’expédier en prison. Faut une bonne raison pour ça ! j’ai jamais fait de mal à personne, moi ! Maya, tu es sûre qu’ils ne t’ont pas vue ?

- Certaine, papa… il faut que je te parle de quelque chose…

Monsieur Poulain n’écoutait pas, il était tout à ses pensées. Perturbé, il se gratta nerveusement le haut du crâne.

- Et tu n’as pas vu leurs visages ?

- Non, papa. Je te l’ai déjà dit… Ils portaient des casquettes avec leurs visières rabattues sur leurs yeux. En plus, ils étaient de dos ! il y en avait le petit et gros et le grand à la main bandée.

- Ce sont forcément des gens que je connais. Mais qui ?

Il replongea dans ses pensées et marmonna jusqu’à ce qu’il entende Maya l’appeler pour la troisième fois.

- Papa ! s’il te plait, écoute-moi. J’ai quelque chose d’important à te dire.

Il s’arrêta tout net.

- Tu te souviens d’autre chose, ma puce ?

- Non, c’est pas ça… Eh bien… C’est juste… qu’il y a des trucs bizarres qui se sont passés.

- Ça ! je comprends, vu ce qui vient de t’a…

Maya se dégagea du chat qui s’était lové sur ses genoux et se redressa d’un coup.

- Papa ! laisse-moi t’expliquer, implora-t-elle, exaspérée.

Elle attrapa son père par les mains et le poussa dans le fauteuil. Puis, elle s’installa sur ses genoux imitant Fripon, et l’enlaça. Un moment, ils se réconfortèrent l’un l’autre, puis elle se décida à lui parler.

- Voilà, hier et puis aujourd’hui j’ai eu de drôles de choses qui se sont passées dans ma tête. Lorsque j’ai rendu visite à Emma, je l’ai approchée et je lui ai tenu la main, parce que c’était plus facile comme ça pour lui parler. Et j’ai eu une apparition, des images qui se sont fixées dans ma tête. Après j’étais toute bizarre. Ensuite, je me suis rendue compte que ces images correspondaient à quelque chose qui existe vraiment et que je ne connaissais pas avant de l’avoir vu dans mon cerveau.

-  Ah ! et c’était quoi ?

- Le collier de coquillages, dit-elle en montrant son ras de cou. Et Aujourd’hui, pareil, lorsque je l’ai touchée ce sont des lettres qui sont apparues. Comme si Emma tentait de me faire passer des messages.

-  Et ces lettres tu les as ? demanda Monsieur Poulain intrigué.

-  Non, je ne sais pas où les trouver… papa ? papa ! répéta Maya.

Monsieur Poulain était reparti dans ses rêveries. Sa tête était devenue une usine à gaz prête à exploser. C’était trop pour lui, trop d’informations, trop d’émotions, trop de tout. Il répondit avec l’automatisme d’une machine, le regard lointain.

- Oui, mon ange.

- Tu crois qu’il y a un lien entre Emma et nous ?

Non, Monsieur Poulain ne pouvait pas répondre à ça. D’ailleurs il n’en savait rien, ensuite il souhaitait un peu de tranquillité. Il ne répondit pas et dans ses yeux Maya lut son impuissance.

Elle embrassa affectueusement son père et monta en direction de sa chambre, mais elle se ravisa et pensa qu’il était le moment pour elle de faire connaissance avec le passé de sa mère et découvrir les secrets de la malle léguée par son grand père.

 

Pour atteindre le grenier, il lui fallait mettre en place une échelle et se munir d’une des lampes torche de son demi-frère. Robin revenait régulièrement chez son père depuis deux ans. Il était amateur de spéléologie et possédait une collection de lampes très performantes. Cependant, il n’aimait pas qu’on entre dans sa chambre pour se servir. Maya savait très bien qu’elle risquait d’avoir des ennuis s’il s’apercevait de son emprunt. D’autant plus qu’elle ne s’entendait pas très bien avec lui. Tant pis, les circonstances étaient particulières, et puis il rentrerait sans doute pas ce soir.

Elle hésita entre trois lampes, finalement elle opta pour celle qui se portait sur le front car elle était la plus pratique, laissant ses mains libres de toute action.

Le plus difficile pour elle fut de déplacer la grande échelle et de la caller convenablement à l’entrée du grenier. Une fois en place, Maya gravit les barreaux et poussa le battant de la trappe de toutes ses forces. En retombant, le panneau déplaça un gros nuage de poussière, derrière lequel à la lueur de la lampe, se dessinaient des formes fantomatiques. Maya grimpa et s’évanouit dans l’épais brouillard, découvrant au fil de ses pas, un meuble abîmé ici quelques jouets anciens par là. Au passage, elle reconnu sa vieille bicyclette et aussi son cheval à bascule qu’elle appelait son cheval à idées, Toto ( c’est ainsi qu’elle l’avait baptisé) lui soufflait toujours des idées rigolotes. Elle caressa sa longue crinière et s’attendrit un court moment sur son cavalier, Ferdinand l’ours chevalier. Les souvenirs se bousculaient à mesure que Maya progressait. Enfin, elle aperçut le coffre, objet de ses interrogations, relégué dans un coin sombre, camouflé sous une épaisse couche de poussière et quelques toiles d’araignées patiemment tissées par leurs propriétaires.

L’objet en question, avait la taille d’une grosse malle dans laquelle elle aurait pu entrer tout entière. Il était constitué de cuir de bonne facture, retenu à chaque coin par une rangée de clous dorés disposés dans un parfait alignement. La serrure ne servait plus mais, on imaginait quelle pouvait être la taille de la clé qui jadis en gardait l’accès, car elle sembla gigantesque au regard de la modeste main de Maya.

La fillette était en émois, elle attendait des réponses à tant de questions ! elle releva le couvercle sans empressement et le fit reposer sur le mur. Les circonstances lui laissaient penser à une chasse au trésor. Pas de joyaux ni de bijoux merveilleux à découvrir mais un trésor de souvenirs inestimables.

On avait rangé les objets personnels d’un côté et le courrier de l’autre. En fouillant Maya trouva quelques vêtements de bébé, robes de dentelles qui avaient dû ravir les parents en leur temps, quelques chaussons et hochets d’une époque lointaine. Une boîte à sucre métallique  recelait de bracelets, montres , bagues, chaînes en or et autres bijoux de pacotille.

Maya les inspecta un à un et découvrit une gourmette gravée au nom de Jade, sa maman. Elle s’imagina le poignet potelet de sa mère paré de ce bijou, cela la fit sourire.

Du côté du courrier, on trouvait aussi quelques photographies laissées en vrac avec de temps en temps un commentaire au verso. Il y avait son grand père à l’allure fière dans son costume de militaire, et aussi un portrait de sa grand-mère. Tous deux étaient réunis, elle en robe blanche, lui gominé et fringant le jour de leur mariage. Puis, elle dégota une photo des jumelles qui semblaient deux princesses endimanchées. Maya n’eut aucun mal à reconnaître sa mère, elle lui ressemblait tellement ! Elle était plus petite, plus blonde que sa sœur et avait gardé à l’âge adulte sa bouille d’enfant. Maya était joyeuse de voyager ainsi dans le passé de sa mère à travers des images de vacances, de fêtes de noël ou bien d’anniversaires. Elle pouvait reconstituer l’enfance ou du moins l’imaginer grâce à ces petits bouts de vie. Enfin, elle découvrit tout au fond de la malle, un journal intime. Le cœur battant, elle espéra que ce fut celui de sa maman. Malheureusement, il appartenait à sa tante Agathe. Cela n’altéra en rien la curiosité de Maya qui ne résista pas à le feuilleter. L’écriture était si dense qu’elle préféra se le réserver pour plus tard et le lire au repos. Elle continua donc son inspection s’arrêtant ça et là sur une carte postale ou sur une lettre manuscrite mais plus rien ne fut digne d’intérêt pour l’instant.

Elle s’apprêtait à refermer la malle lorsqu’une voix forte se fit entendre.

« oh non, pitié, pas Robin ! » pensa-t-elle. Elle se saisit du journal et galopa jusqu’à l’ouverture de la trappe. 

Lorsqu’elle s’y pencha, quelqu’un l’attendait au bas de l’échelle.

 

Le jeune homme observait sa sœur, bras croisés, jambes écartées, un sourire narquois aux lèvres. Son visage était  en partie masqué par l’obscurité qui régnait dans le couloir.

- ça va te coûter cher, se moqua-t-il.

Maya eut un mouvement de recul, pensant qu’elle devrait affronter Robin. A ce moment-là le rayon de sa lampe frontale illumina le visage enjôleur de Joaquim.

- Joaquim ! s’écria-t-elle.

- C’est bien moi, pour vous servir, jolie princesse. Et il fit une révérence digne d’un seigneur du quinzième siècle.

Dans sa hâte, Maya manqua de tomber trois fois de la grande échelle. Ses maladresses la conduisirent à lâcher  le précieux  journal qui termina sa chute sur la tête de Joaquim.

- Oh pardon ! dit-elle une fois droite sur ses pieds, puis dans un élan elle s’agrippa au cou du malheureux garçon à demi assommé et entoura son torse avec ses jambes.

Il l’accueillit dans ses bras musclés et ensemble ils firent plusieurs tours sur eux-mêmes. De grands éclats de rires remplirent l’étage.

-  Hé, tu n’aurais pas pris un peu de poids depuis la dernière fois ? fit-il en la posant sur le sol.

-  Non cher Monsieur, j’ai pris des centimètres ! répondit-elle en se mettant au garde à vous. Alors c’est comment l’armée ? tu t’entraînes très fort ? tu fais des parcours ? tu sais, comme dans les films quand on voit les soldats grimper, sauter, courir, se rouler dans la boue ! tu as une arme ? montre, montre moi ta mitrailleuse…

- Mais petite sotte, tu crois que j’ai le droit de me balader avec mon arme ? Je suis en PER-MI-SSION, dit-il en lui ébouriffant les cheveux d’un geste affectueux. Allez, file ranger la lampe de Robin avant qu’il ne s’aperçoive de ton intrusion dans sa grotte.

-  Chef oui Chef ! Maya s’exécuta tel un petit soldat.

Joaquim ramassa le cahier à ses pieds et le tendit à sa sœur.

- Et n’oublie l’objet de ton délit, sans quoi je te mets au cachot.

- Au cachot ?

- Parfaitement ! pour tentative de bosse, lui dit-il en exhibant son crâne rasé.

 

Maya était heureuse du retour inopiné de Joaquim. Ils s’entendaient si bien tous les deux malgré leur différence d’âge ! Joaquim avait toujours été un garçon plein de vitalité, mais un peu difficile à canaliser. Il avait souhaité vivre avec son père bien avant Robin et s’était attaché à sa petite sœur immédiatement. Leur complicité, leurs jeux incessants ravissaient leur père qui retrouvait un peu de joie de vivre à leur côté. Cela faisait six mois qu’il n’était pas rentré de sa garnison située à des centaines de kilomètres.

Le repas fut improvisé par Monsieur Poulain, apaisé par la venue de son fils. Ils prépara des œufs brouillés accompagnés de lard fumé, ( il en gardait toujours dans le réfrigérateur ) le plat préféré de Joaquim. Maya raconta ses mésaventures de la journée, Joaquim fut révolté à l’idée qu’on puisse impliquer sa famille dans cet imbroglio. Il leur conseilla de continuer à vivre comme si rien ne s’était passé. Il dit :

- Maya, demain tu iras au collège. Il ne faut pas qu’on se doute de quoi que ce soit. Tiens, voici mon numéro de téléphone, il l’inscrivit sur un post-it et lui tendit. Si tu te sens menacée appelle et j’arrive, ok ? la rassura-il en lui pinçant la joue. Maintenant, va te coucher car il est tard, avec papa on doit parler.

Maya tombait de sommeil, elle obéit sans poser de problème même si elle avait rudement envie de profiter encore de son frère chéri. Toutes ces émotions en une seule journée l’avaient éreintée. Elle monta les escaliers au ralenti, se traîna jusqu’à son lit accueillant, se glissa sous la couette moelleuse et s’endormit comme une marmotte.

Cette nuit-là, Maya rêva de deux malfaiteurs portant des casquettes. Ils la pourchassaient, mais elle leur échappait sans cesse, trouvant toujours une issue dans le dédale des pièces d’une immense maison. Leur corps sans figure, leurs casquettes flottant au-dessus d’une masse sombre et béante épouvantèrent la jeune fille. Oui, la nuit de Maya fut des plus agitées.

 

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 22:52

 

         

Pas de chance l’Autobus lui passa sous le nez, alors pour ne pas perdre de temps, Maya commença le chemin à pied jusqu’à l’arrêt d’après.

Marcher dans les rues illuminées en cette période de Noël n’était pas déplaisant. Le froid lui agressait les doigts et les joues, mais les odeurs de marron chaud l’enivraient. Elle profitait des sourires béats des tout petits enchantés par les couleurs vives, les lumières des devantures des magasins et les sapins de noël bien garnis.

Le bus suivant, s’arrêta et Maya ne fut pas fâchée de se mettre un peu au chaud. Son impatience s’amplifia, à mesure qu’elle se rapprochait de sa destination. Soudain son ventre se noua, elle était arrivée.

Maya connaissait la maison. Elle était composée d’un grand nombre de pièces, bien trop pour abriter un père et sa fille. La chambre d’Emma se trouvait à l’étage, tout au bout d’un couloir, loin des autres chambres et bureau de son père. La porte d’entrée d’époque, au bois finement travaillé, donnait sur la rue.

Maya s’étonna de la trouver entre ouverte. Elle la poussa délicatement, et entendit des éclats de voix, au loin. Poussée par la curiosité, elle se dirigea le plus discrètement possible vers les voix. Plus elle approchait plus son cœur se serrait  car il ne s’agissait pas d’une simple discussion. Enfin tout près, son cœur se fit encore plus petit dans sa poitrine. Elle réalisa alors qu’elle se trouvait au beau milieu d’une violente dispute. Cela ne la regardait pas mais c’était trop tentant. Elle tendit l’oreille et ouvrit l’œil.

L’altercation se déroulait dans le bureau de Monsieur Rénald et par chance la porte était entrebâillée. Maya vit deux silhouettes, l’une de grande taille et l’autre plus corpulente. Les deux hommes s’agitaient tandis que le PDG gisait sur le sol.

Maya tétanisée par la peur, ne pouvait décoller son œil de la fente ouverte au drame dont elle devenait le témoin.

- Qu’est ce qu’on fait maintenant, qu’il nous a surpris ? c’était pas prévu qu’il soit là, hein ? t’avais pas dit qu’il devait pas rentrer avant huit heure, hein ? Putain…On est dans la merde… dit le plus grand en piétinant.

Paniqué, incapable de prendre une décision, il s’en remettait à l’autre, plus calme.

- Alors ! tu peux pas me répondre ? On fait quoi ? s’énerva-t-il. En plus il nous a vu, il va pouvoir témoigner et puis moi je veux plus retourner en prison, tu comprends ? continua-t-il, en trépignant sur place.

- Tu la boucles, maintenant ! ordonna l’autre. Quand je t’entends jacasser comme une vieille poule ça me déconcentre… Bon, tu vas bien m’écouter, ok ? notre boulot c’est de récupérer la chose qu’on nous a demandé de trouver.

- Ouais, mais on l’a pas trouvée, coupa le grand, qui commençait à gigoter de plus belle.

- Je t’ai dit de m’écouter, t’as compris ? Non mais quel crétin !

- Hé ho, tu me parles pas comme ça, toi !

- Oh ! je sais pas ce qui me retient, grommela le gros en chopant le grand par le col et en le menaçant de sa main.

Aussitôt le grand pinça les lèvres pour réprimer un juron. Il semblait le moins malin, et c’est avec peu de conviction qu’il se défendit. Maya remarqua qu’il avait un bandage à la main droite mais elle ne pouvait pas distinguer les traits de son visage à cause de la visière de sa casquette rabattue sur ses yeux. Quant à l’autre il se trouvait dos à elle.

- On a quasiment tout visité dans la maison, y a même rien dans son coffre. On  le trouvera plus maintenant. Fouille-le.

- Pourquoi moi ?

Voyant son comparse hésiter, il insista en sortant une arme de sa poche.

- Ok, ok… il se pencha, puis se ravisa. Et si…

- Si quoi ? répéta le gros exaspéré.

- Et si la fille, elle a ce qu’on cherche ? l’autre, y risque de nous retrouver parce qu’on aura salopé le boulot et tu sais ce qu’il a dit, hein, hein ? y va nous buter, et puis aussi notre famille, s’inquiéta le grand.

Maya eut un haut-le-coeur, elle pensa immédiatement qu’on parlait d’elle.

- T’as pas de famille ! de quoi tu te plains ? fais ce que je te dis, après je le bute. La fille, elle est dans le coma, elle se rappellera de rien à son réveil. Elle, c’est plus qu’un détail maintenant. Fouille le, dépêche.

 Maya fut rassurée, ils ignoraient sa présence.

Le gros commençait à perdre patience. L’autre, retourna les poches de Rénald et  en sortit une petite enveloppe plastique à l’intérieur de laquelle il y avait une petite médaille bleue.

-       Ça y est ! je l’ai, dit le grand et brandissant l’objet !

Il jubilait comme un enfant après une chasse au trésor.

- T’es sûr ?s’enquit le gros.

- Ouais, regarde c’est bien elle, toute bleue avec l’étoile blanche…

Le gros attrapa le petit sachet et le glissa dans sa poche.

- Bon t’as la pièce a conviction pour faire accuser l’autre ?

- Ouais, ça été un jeu d’enfant pour lui voler.

Il sortit un vieux portefeuille de sa poche.

- y devait être accusé de vol mais pas de meurtre. Putain Jean-Marie dans quoi on a mis les pieds… Comment y s’appelle ce pauvre type. Il ouvrit le portefeuille et articula distinctement.

- Poulain, Guy Poulain.

- Ferme-la, non de dieu, lança le gros, visiblement de plus en plus agacé. On s’en fout c’est pas nos oignons et en plus, on va repartir avec un gros paquet.

Le grand jeta le portefeuille négligemment sous le bureau de Monsieur Rénald.

Quoi ? Maya n’en croyait pas ses oreilles, on voulait faire accuser son père du meurtre de Monsieur Rénald. Son sang ne fit qu’un tour. Il fallait qu’elle fasse diversion pour sauver le PDG et récupérer le portefeuille de son père. Mais comment faire ? Un dernier coup d’œil lui donna du cœur au ventre, le plus gros braquait le pistolet sur Rénald qui reprenait ses esprits. Il fallait trouver une solution et vite.

Maya avait remarqué que toutes les pièces de la maison communiquaient systématiquement entre elles par deux portes. Elle fit le tour du bureau en longeant le mur et s’aperçut qu’il ne faisait pas exception. Il fallait qu’elle attire l’attention au loin et qu’elle revienne par le bout du couloir pour atteindre la porte du fond du bureau.

À pas de loup elle se dirigea vers la pièce la plus proche. Une fois à l’intérieur, elle prit soin d’ouvrir la porte du fond qui donnait sur le couloir. Ensuite, elle s’empara d’un vase en faïence de grande taille et le lança de toutes ses forces sur le sol. Aussitôt les hommes réagirent, elle entendit des pas de course venant dans sa direction. Elle eut juste le temps de s’éclipser par la deuxième porte. Elle gagna l’entrée se situant derrière le bureau, sur la pointe des pieds. Elle n’était pas sûre qu’ils étaient sortis tous les deux de la pièce. Elle en eu la confirmation lorsqu’elle entendit des jurons.

- Bougre d’âne, t’avais pas dit qu’il n’y avait personne d’autre?

- Aie, arrête, aie ! tu me fais mal !

Maya compris alors que les deux malfrats étaient ensemble car le plus coriace donnait une bonne correction au plus bête.

Il fallait agir maintenant et discrètement. Elle se faufila dans le bureau, ramassa le portefeuille de son père à la hâte sans regarder autour d’elle et le cala dans la ceinture de son pantalon. Elle embrassa la pièce d’un bref regard et constata avec stupeur que le père d’Emma s’était volatilisé. Elle fut déboussolée l’espace d’un instant, mais pas plus car déjà elle entendait des pas rapides résonner dans le couloir et se rapprocher peu à peu.

- Je suis perdue. Se dit-elle.

Respirant à peine, elle guetta, pour être certaine qu’ils revenaient bien tous les deux. Elle s’enfuit sans bruit par le chemin emprunté précédemment.

- Où est-il passé ? hurla le plus gros. Nom d’un chien ! on l’a perdu.

- y s’est peut-être caché là, sous notre nez. Regarde, y a des portes et des recoins partout.

Maya compris instantanément, qu’elle devait détaler à toute vitesse. Elle s’élança dans le couloir, traversa en trombe l’appartement, atteignit le salon où elle se retourna et donna, avec son sac à dos, un grand coup dans le dossier d’une chaise qui bascula bruyamment sur le sol. Affolée par sa maladresse, elle bondit dans le jardin par la porte vitrée, espérant rejoindre une issue par l’extérieur. En quelques enjambées, légère comme le vent, Maya gagna le fond du jardin. Pas la moindre ouverture, seul, un yeuse se dressait. Elle s’agrippa à la branche qui se tenait à sa portée, se hissa et se dissimula dans un feuillage encore bien accroché. Haletante, la bouche sèche, elle s’obligea à être la plus calme possible.

L’homme à la main bandée déboucha et chercha autour de lui sans avoir l’idée de lever la tête. Il aperçut une autre porte vitrée entr’ouverte, il s’y engouffra.

Le danger écarté, Maya inspira un bon coup et prit son temps pour sortir de sa cachette. À l’instant où ses pieds touchèrent terre, un coup de feu retentit. Maya fit un bond, elle fut désorientée l’espace de quelques secondes. Dans un réflexe vital elle s’accroupit. Elle resta un moment immobile, incapable du moindre geste. Soudain, un chat approcha et se frotta à sa jambe. Cette manifestation chaleureuse la réconforta et la sortit de sa torpeur. L’animal se dirigea vers le coin ouest de la maison. Maya se décida à le suivre, elle rampa à quatre pattes dans les traces du félin. Un autre coup de feu retentit, puis un autre, et encore un autre. À chaque détonation le cœur de Maya s’emballait de plus belle, à chaque fois son souffle s’interrompait. Pourtant, elle se cramponna à la terre et s’achemina tant bien que mal, tremblante, vers un passage. Elle pénétra dans un semi tunnel, couloir interminable des chats errants, se dirigeant peut-être vers un destin tragique.

Un portail sans poignée et un abri  à bois bloquait le bout de l’allée. Une chaîne fermée par un cadenas robuste maintenait la porte close. Sous la base de la porte, un creux dans la terre permit au chat de se faufiler et offrait aussi, largement, le passage à une fillette fluette comme Maya. Elle poussa en avant son sac, se glissa dans la fente, rampa pour atteindre l’autre côté. Puis, se sachant à l’abri, elle se recroquevilla dans un angle, la tête enfouie dans ses genoux et sanglota.

 

Ce furent sans doute les voisins qui donnèrent l’alerte à cause du début d’incendie qui prit dans la maison. Maya, qui n’avait pas bougé de son refuge, se décida à en sortir  en entendant les sirènes. Il ne lui restait que quelques mètres à parcourir, ses jambes étaient molles, les quelques pas qui la séparaient de la rue lui parurent très longs. Il fallait pourtant sortir de cette impasse, il fallait surtout ne pas se faire remarquer.

Il y avait du monde autour de l’entrée de l’immeuble. L’enfant n’eut pas de mal à se frayer un chemin et se fondre parmi les badauds. Une ambulance était garée au coin de la rue, la police était présente aussi. La porte de la maison était ouverte, et comme dans une fourmilière, des gens entraient d’autres en sortaient, tous portaient un uniforme. Maya avait contenu sa frayeur, à présent se sachant en sécurité, la fillette se sentit nonchalante, ses jambes se  dérobèrent sous son poids, elle vacilla. Soudain une main épaisse l’empoigna, elle sursauta. Une vision d’effroi associée à une sensation de froid la saisit.

- Que fais-tu ici jeune fille ? Ce n’est pas un endroit pour toi, gronda, de sa voix grave, le Capitaine Piole en la secouant légèrement.

- J’avais rendez-vous avec Monsieur Rénald, assura Maya encore sous le choc des images qui s’étaient formées dans son esprit.

Ces paroles lui étaient sorties spontanément de la bouche. Elle n’avait pas menti mais elle n’avait pas réussi à dire précisément la réalité des choses qu’elle venait de vivre. Oui, elle avait rendez-vous, mais elle avait aussi assisté à l’agression. Pourquoi n’arrivait-elle pas à en parler au Capitaine ? subitement muette, elle blêmit.

- Qu’y a-t-il Maya ? s’inquiéta le Capitaine Piole. Ça ne va pas ? Tu es toute drôle… il lui prit les mains et lui palpa le front. Mais, tu es  toute glacée. Tu n’as rien à me dire ? Il la toisa d’un regard scrutateur.

Maya fit non de la tête. C’était trop difficile de parler, trop difficile de confier ce dont elle avait été le témoin.

- Allez file,  rentre vite chez toi. Lui ordonna-t-il.

Il prononça ces paroles avec un brin fermeté que Maya, qui le côtoyait régulièrement, n’avait jamais relevé dans son caractère. Sans doute lui aussi était-il sous pression. Il la regarda disparaître dans la foule. Maya ne pouvait quitter les lieux sans savoir. Aussi, elle rebroussa chemin, se posta derrière un attroupement assez dense pour la  dissimuler et tendit l’oreille afin de glaner quelques informations. Un  homme revenant de l’immeuble s’arrêta tout près d’elle et avertit un groupe de personnes.

- Il est mort, lança-t-il, le PDG est mort ! Une balle en pleine tête ! L’avait pas qu’à foutre les gens dehors, ce salaud !

- Ouais ça, c’est bien fait pour sa gueule…

Maya ne voulu pas en entendre d’avantage, elle fit profil bas et quitta ce lieu sinistre. Maintenant elle savait qu’Emma avait été attaquée, le doute n’était plus possible. Des larmes tièdes roulèrent le long de ses joues pâles.

 

 

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 22:45

 

Monsieur Poulain réveilla sa fille à la hâte. Il venait de téléphoner à l’hôpital et le Professeur Masson pouvait recevoir Maya dans l’heure. Comme il n’était pas très souvent disponible, mieux valait sauter sur l’occasion.

- Maya, Maya ! réveille-toi, fit-il en retirant le petit bout de couverture qu’elle serrait dans ses mains. Il la secoua gentiment. Allez, debout ! dépêche-toi, Maya. Je t’ai obtenu un rendez-vous avec le docteur Masson.

- Hum ! Maya était tout engourdie. Aie ! ouille ! J’ai mal partout.

Elle avait passé la nuit sur le fauteuil inconfortable du salon et les conséquences se faisaient sentir douloureusement.

- Va vite prendre ta douche. Je te prépare ton petit déjeuné. Bon dieu ! où a bien pu passer mon porte feuille !? se demanda-t-il.

Le père tout aussi peu réveillé que la fille, partait à droite puis à gauche sans trop pouvoir décider de la direction à prendre.

Après une toilette express et un bol de céréales, ils filèrent direction l’Hôpital Marguerite.

 

Le docteur Masson suivait Maya depuis sa naissance. Cet éminent spécialiste du cerveau, s’était vu confier l’enfant car elle présentait une pathologie inconnue. Les médecins, qui mirent au monde Maya, remarquèrent après une série d’examens qu’elle avait à un endroit du cerveau une sorte de petit bleu, exactement comme les bleus occasionnés par un coup ou une chute. Sa couleur foncée au centre et multicolore autour le rendait joli à regarder. Mais cette anomalie provoquait chez l’enfant des douleurs vives qui apparaissaient brusquement. La prise d’un médicament adapté annulait instantanément et ponctuellement la douleur.

Une à deux fois par an, la fillette se rendait dans le service du Professeur Masson. On observait l’évolution de son bleu et on lui faisait passer une batterie de tests.

            Maya se confia au médecin qui au fil des années était devenu un ami. Elle lui parla de ces flashs survenus lorsqu’elle avait rendu visite à Emma, de ces images qui s’étaient soudainement imprimées dans son esprit.

-  As-tu déjà rencontré ce phénomène avant ? Demanda-t-il.

- Non, c’est la première fois et puis, ensuite j’ai été très fatiguée et ma douleur à la tête est devenue très vive.

- Bon pour l’instant, je vais te prescrire tes comprimés, mais je veux te revoir vendredi soir après les cours. Ça fait dans une journée, c’est bien ça ? oui, bon, demain, quoi.  Tu viens avec des affaires au cas où.  Bon… Et je vérifie que ton bleu ne s’est pas étendu. Entendu ? S’il y a eu des petits changements, je te garderai en observation pour le week-end. On fait comme ça ?

C’était tout lui, le professeur Masson était direct, expéditif et très efficace.

Il se leva et lui tendit fermement sa large main. Maya présenta la sienne timidement car elle anticipait la poigne de fer du médecin. Et, bien entendu, comme de coutume, il lui broya la main. Maya réprima un petit cri de douleur, s’empressa de sortir du bureau et agita sa main vivement afin qu’elle reprenne sa forme initiale. Elle avança à la rencontre de son père qui buvait son troisième café de la matinée.

- Il veut me faire passer un scanner demain, lança-t-elle. Et s’il y a un changement, si mon bleu a grossi, il veut me garder en observation. Quelle heure est-il ?

- Pas loin de huit heures pourquoi ?

- Parce que je rentre à neuf et que j’ai envie d’aller voir Emma quelques minutes. Ça te ne dérange pas ?

- Ben non, mon ange, j’ai que ça à faire pour le moment… dis, tu n’aurais pas vu mon portefeuille, par hasard ?

- Non désolée, répondit-elle.

Elle fit claquer un baiser sur la joue de son père et s’engouffra au pas de course dans les couloirs. Quelques regards désapprobateurs la dévisagèrent, elle se calma sur le champ et adopta une marche rapide.

Elle entra sur la pointe des pieds dans la chambre occupée par Emma, s’approcha d’elle et chuchota près de son l’oreille.

- C’est moi Maya. Tu sais, tu me manques… tu me manques beaucoup… je porte le joli collier que tu voulais m’offrir. Il est magnifique. Jamais, je n’en ai eu un aussi beau… Merci…

Elle lui caressa le front et lui donna un petit bisou.

A nouveau elle eu un flash, cette fois il s’agissait de papiers, de lettres. C’était confus. Elle prit peur et s’écarta. Un moment, elle observa son amie en silence.

« Que se passe-t-il ? » s’interrogea-t-elle. « C’est bizarre toutes ces visions chaque fois que je touche Emma »

Lorsqu’elle rejoignit son père, elle avait repris ses esprits.

- On y va pa ?! ce soir, t’inquiète pas si je rentre un peu tard, après les cours je rends visite au père d’Emma. Puis, tout bas pour elle-même. Je crois qu’il a des choses me dire.

 

La journée au collège fut particulièrement difficile. Les filles furent méprisantes et les garçons moqueurs. Maya se retrouva dans la situation qu’elle vivait avant l’arrivée d’Emma. Son  amie avait su s’imposer très rapidement au sein des groupes d’adolescents. Certains s’étaient risqués à faire quelques bons mots à ses dépends, mais ils s’en mordirent vite les doigts. Chacun eut rapidement compris qu’il valait mieux respecter Emma que de s’y frotter. Son amitié avec elle, permit à Maya un peu de tranquillité.

Malheureusement, la nouvelle de l’accident d’Emma s’était répandue et les bonnes vieilles habitudes reprirent.

-  Tu n’as pas ton garde du corps aujourd’hui ? lancèrent Corinne et Sonia.

Maya ne répondit pas. Il n’y avait, d’ailleurs, rien à répondre. Elle songea à Emma, seule dans sa chambre d’Hôpital.

- Hé ! tu réponds pas, miss Poulain ? réitèrent-elles.

-Laissez-moi… Marmonna Maya en regardant ses pieds, essayant de contourner  le rempart qu’elles venaient de former et auquel s’étaient rajoutées Jessica et Colombe.

- qu’est ce que t’as dit ? rétorqua Sonia en colère, l’attrapant par le bras pour l’intimider davantage.

- Rien… j’ai rien dit… répondit Maya penaude. Je peux passer, s’il te plait ?

Deux garçons assistant à la scène déclarèrent au passage :

- Va y avoir du cheval à la cantine aujourd’hui ! ou plutôt du Poulain ! hi ! hi ! hi !

Cela fit exploser de rire les pimbêches qui attirées par la gente masculine abandonnèrent leur proie.

- C’est bon, passe mais fais gaffe à ce que tu dis, sinon on te maquille au marqueur, ok ? grogna Corinne, les sourcils froncés, menaçante.

L’instant d’après, le visage enjoué Corinne héla les deux garçons d’une voix mielleuse.

- Tom, François ! attendez-nous !

 

Les cours furent des plus barbants. Maya n’avait pas la tête à ça. Toute la journée, elle ne pensa qu’à sa rencontre avec le père d’Emma. « Qu’avait-il à lui apprendre? » cette question revenait sans relâche.

 

La cloche sonna et aussitôt les élèves remplirent leur sac à la va vite pour être le plus rapidement possible hors de l’enceinte du collège. Maya n’était pas en reste mais en tant que déléguée de classe elle avait l’obligation de rapporter le carnet d’appel. Elle se dépêcha d’accomplir sa tâche, mais elle rencontra Madame Hilly qui s’occupait de l’atelier journal.

- Maya, l’interpella-t-elle, on ne te voit plus guère à l’atelier ces temps-ci, tu es la rédactrice il me semble ! tes camarades ont besoin de toi pour sortir la page hebdomadaire. Viens, on va discuter de tout ça.

Maya était très embarrassée et pressée, elle tâcha de s’en tirer par une petite comédie.

- Oh, je suis désolée Madame, je ne peux vraiment pas, j’ai rendez-vous avec mon médecin pour un renouvellement de médicaments. Je n’en ai plus, et vous savez, (elle se prit la tête entre ses mains ) j’ai très mal en ce moment.

l’expression sévère du visage du professeur se transforma en indulgence. Madame Hilly n’ignorait pas les problèmes de santé de Maya.

- Oui, je comprends, allez, va ! Elle leva le doit en guise de recommandation. Mais demain sans faute, sans quoi la page de la semaine prochaine ne verra pas le jour. Je compte sur toi.

- Oui, Madame, s’empressa de répondre la fillette.

Ouf, Maya pouvait enfin se rendre au rendez-vous. Elle prit la démarche d’une personne souffrante pour ne pas éveiller les soupçons du professeur qui la toisait encore. Lorsqu’elle fut hors de portée, elle détala le plus vite possible pour ne pas rater son bus.

 

 

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 22:39

Le lendemain, Monsieur Poulain accompagna sa fille jusque devant la chambre d’Emma, mais depuis la mort de sa femme, il ne souffrait plus les hôpitaux. L’odeur qui planait, le blanc des murs le ramenait à cette maudite période de sa vie.

Il embrassa sa fille et la laissa affronter seule la dure réalité.

Lorsqu’elle entra dans la chambre blanche de l’hôpital, toutes ses idées abracadabrantesques la quittèrent. Emma était là, endormie sur son lit immaculé, les bras le long du corps posés pardessus le drap. Ses cheveux noirs encadraient son visage serein et tranchaient avec son teint pâle.

Au début, Maya ne sut pas quoi faire. Elle était triste de voir son amie inanimée et se sentait infiniment démunie et impuissante. Elle finit par s’asseoir sur une chaise à côté du lit, avec beaucoup de douceur elle prit la parole.

-  Emma, c’est moi, Maya. Tu vois, je suis là, je ne t’abandonne pas. Notre serment tient toujours !  Je voudrais tant t’aider, tu sais… Je voudrais Comprendre ce qu’il s’est passé. Si seulement tu pouvais m’entendre !

A cet instant, une infirmière entra dans la pièce. Elle tirait un gros chariot à deux étages sur lequel étaient disposés des flacons, du coton et une multitude de produits de soin.

- Elle t’entend ! dit-elle. Tu peux lui parler. Les personnes qui sont dans le Coma sont prisonnières de leur corps mais leur cerveau fonctionne. Tout ce que tu pourras lui dire, lui sera bénéfique. Tu peux même lui lire une histoire si tu veux… Maintenant, je vais te demander de sortir… je dois lui faire des soins, ça ne sera pas long.

Maya lâcha la main d’Emma. Elle avait eu une drôle de sensation à son contact. Des images, des flashs de coquillages multicolores, s’étaient imposés à elle. Maya sortit, ôta la blouse, le bonnet et les patins obligatoires pour la circonstance. Elle observa à travers les carreaux de la porte son amie, étendue et molle aux gestes précis de l’infirmière.

Pourquoi cette image de coquillage hantait tout son esprit ? Pourquoi se sentait-elle si vulnérable si fatiguée tout à coup ?

Elle traversa le long couloir blafard, plongée dans ses pensées. Elle aurait pu croiser le Président en personne qu’elle ne l’aurait même pas remarqué. Aussi sursauta-t-elle quand on l’attrapa par le bras.

- Tu es Maya, l’amie de ma fille, dit l’homme… Je suis son père.

Maya fut si surprise qu’elle ne put prononcer un seul mot.

Maya et Monsieur Rénald ne s’étaient jamais vraiment rencontrés. Tout au plus Maya l’avait aperçu à quelques reprises, mais de loin. En revanche, l’homme identifia facilement la fillette dont des clichés traînait ça et là dans la chambre de sa fille.

- Viens, lui dit-il, j’ai quelque chose pour toi. C’est bientôt ton anniversaire, non ?

- Oui, répondit-elle avec une petite voix.

- Emma t’avait préparé un cadeau. J’étais certain que tu viendrais… attends, je vais te le donner, il est là dans la chambre… Je reviens.

Une  minute plus tard, il rappliqua avec le paquet qu’elle avait entrevu à l’assemblée générale. Le trouble envahit Maya.

- Tiens, c’est pour toi. Je  sais qu’elle tenait beaucoup à te l’offrir.

- Qu’est ce que c’est ? s’étonna-t-elle ?

- Regarde…

Maya ouvrit le sac et en retira un petit ras de cou.

- C’est un collier de coquillages, poursuivit-il. Ils viennent de très loin, d’une île appelée le paradis.

- C’est magnifique, s’émerveilla Maya, elle examina l’objet aux couleurs flamboyantes.

«  Ce sont les coquillages que j’ai vu en prenant la main d’Emma ! » se dit-elle avec effroi. Elle eut la sensation étrange d’être une extraterrestre capable de recevoir des informations directement de cerveau à cerveau.

- Emma en possède un aussi, reprit Monsieur Rénald. Je lui ai placé dans la poche de sa chemise… Elle y tient beaucoup car ces deux colliers appartenaient à sa maman. C’est à peu près tout ce qui lui reste d’elle… Elle doit vraiment beaucoup t’aimer pour te l’offrir…

Il hésita quelques secondes

- On ne se connaît pas mais… j’aimerai bien discuter avec toi, ça te dirait de venir boire le thé demain après midi ?

Son regard implorant se planta dans les prunelles de Maya.

- eh bien, c’est que j’ai cours demain… mais je peux venir après… vers cinq heures, ça vous va ? répondit-elle spontanément.

- c’est Parfait…Au fait, rajouta-t-il avant de s’éloigner, le Capitaine Piole m’a téléphoné, Emma a eu un accident. Il ne faut plus que tu t’inquiètes à ce sujet. Il ne nous reste plus qu’à souhaiter qu’elle se remette vite.

Elle ne savait pas pourquoi, mais il lui sembla que cet homme lui mentait au sujet de l’accident d’Emma. Quelles pouvaient être ses motivations ? cherchait-il à la protéger ?

Ils se séparèrent et Maya ressentit un élancement à la tête. Elle se sauva rejoindre son père qui l’attendait à l’accueil.

- Papa ! dit-elle. J’ai très mal à la tête, tu sais là. Elle montrait le côté gauche de son crâne. Il ne me reste plus beaucoup de comprimés pour mes douleurs, tout juste trois. ( Elle en ingurgita un. ) Il faudrait que j’aille voir le Docteur Masson.

- Demain je te prendrai un rendez-vous. Dis-moi… comment elle va Emma ?

- Elle va comme peut aller quelqu’un dans le coma papa. Mais tu dois en savoir quelque chose, non ?

Elle faisait allusion à sa mère qui était restée dans le coma durant plusieurs semaines avant de s’éteindre. La question embarrassa son père car il n’aimait pas parler de cette période difficile de sa vie. Il se tut, comme il l’avait toujours fait jusqu’à présent. Maya le relança.

- Tu ne m’as jamais expliqué pourquoi elle s’est retrouvée dans cet état.

- Papa, je veux savoir, j’en ai le droit, dit-elle en le regardant directement dans les yeux. J’aurai treize ans dans cinq jours, tu avais promis… il faut que je sache, papa…

Monsieur Poulain se leva, courbé en avant. Il se déplia lentement afin d’obtenir une posture stable. Puis, il posa son bras autour des épaules de sa fille et la pressa affectueusement contre lui.

- Rentrons, dit-il. Je vais tout t’expliquer… 

 

Ils arrivèrent dans leur modeste maison du quartier des Odes. Le mois de décembre était particulièrement rigoureux cette année, aussi Monsieur Poulain  fit un bon feu dans la cheminée. Les bûches de bois sec craquèrent lorsque la flamme parvint à les lécher. Armé d’un soufflet l’homme attisa le feu qui peu à peu emplit, de sa douce chaleur, le petit salon. Maya, emmitouflée dans le gros pull râpé qui lui servait de robe de chambre et ayant gardé ses mitaines, s’était recroquevillée dans le vieil et unique fauteuil de la pièce.  Son père la couvrit d’une polaire épaisse et la frictionna vigoureusement.

- Je vais nous faire un bon chocolat chaud et deux tartines au miel. Qu’est ce que tu en dis ? lui entonna-t-il. Il avait dans la voix une gaîté contredite par l’expression abattue de ses yeux.

Maya hocha la tête pour signifier son approbation. Seuls, le bout de son nez et ses beaux yeux clairs étaient encore visibles sous le monticule de vêtements qui la couvraient.

Quelques minutes plus tard son père revint avec un plateau sur lequel les deux chocolats fumaient et les tartines dégoulinaient du miel de mille fleurs. Il le posa sur le petit guéridon en bois tout près de Maya. Une effluve sucrée piqua les narines de la fillette qui poussa un petit soupir et se détendit. Lui, tira une chaise et s’installa le plus confortablement possible. Il ne savait pas par quel bout commencer. Il fixa le petit guéridon aux courbes élégantes et fines, puis il prit une gorgée de chocolat chaud et se lança.

- Tu vois ce guéridon Maya ? 

Elle se retourna vers l’objet, surprise du démarrage leur conversation.

- Eh bien, continua-t-il, c’est moi qui l’ai conçu et façonné de mes propres mains. À l’époque c’était mon métier, je dessinais, imaginais et réalisais des meubles. J’ai appris mon métier avec le vieux Rubis que j’aime comme un père, tu le connais nous allions souvent  lui rendre visite pendant l’été, autrefois. Cet homme avait des mains d’or et m’a transmis sa passion pour le bois. C’est lui qui m’a aidé à m’installer. Il m’a prêté les outils et m’a même trouvé le local où je me suis établi. Je vivais une époque heureuse, petit à petit j’ai réussi à maîtriser mon art et les affaires ont commencé à marcher. Alors je me suis dit qu’il était temps de fonder une famille. J’ai pris pour épouse Myriam une amie d’enfance, je la connaissais bien, c’était une brave fille. Nous nous aimions bien et je pensais qu’on serait heureux tous les deux, j’ai compris bien des années plus tard que pour former un couple cela ne suffit pas. Aussi, après la naissance de tes frères les disputes ont commencées. Nous n’étions jamais d’accord et elle ne voulait pas que je mêle de l’éducation de mes enfants. J’ai essayé de faire des efforts, malheureusement rien de ce que j’entreprenais ne la satisfaisait. Petit à petit je me suis lassé des conflits perpétuels et je me suis investi davantage dans mon travail que j’adorais…(il marqua une pose, but un peu de son chocolat et repris sa respiration pour continuer) Un jour, une cliente est venue me faire une commande, c’était ta maman. Dès le premier coup d’œil, je suis tombée amoureux d’elle et elle aussi je crois. Elle était douce, blonde avec de grands yeux clairs comme toi. Elle venait souvent à l’atelier surveiller l’évolution de la console que je fabriquais pour son père. Au fil de nos entrevues, nous avons sympathisé jusqu’au jour où je l’ai invitée à dîner. Je m’en souviens comme si c’était hier. Le restaurant, les couleurs de sa robe son parfum enivrant… Quelle soirée merveilleuse ! ce fut magique. C’est ce jour là, le vingt deux septembre que notre histoire a commencé. Nous nous sommes aimés dans la clandestinité pendant des mois. Ce furent les mois les plus heureux mais aussi les plus difficiles de ma vie tant j’étais tiraillé par ma double vie. Mais, je ne voulais faire de peine à personne.

Maya regardait son père d’un œil scrutateur, elle goûtait chaque parole, chaque mot avec intensité. Elle découvrait un père inconnu jusqu’alors, un père heureux. Ce n’était pas celui qu’elle avait entendu pleurer si souvent le soir, c’était un autre homme.

- Et puis, continua-t-il, ta mère est tombée enceinte. Il a fallu que j’avoue tout à Myriam et que je demande le divorce pour pouvoir épouser Jade, ta maman. Mais Myriam a eu du mal à accepter. J’ai abandonné ma maison, je vivais dans mon atelier en attendant de pouvoir m’installer avec ta maman. Puis, Myriam a  finalement décidé de partir de la ville en emmenant mes garçons. Je les ai perdus de vue pendant des années. Les choses se sont calmées et la vie a repris son cours. Tu es arrivée au monde un jour de neige. Tout était blanc dehors, on aurait dit que la nature s’était immaculée pour te recevoir, comme pour accueillir un ange. Tu étais si jolie que toutes les infirmières étaient tombées en extase devant ton berceau. Je me souviens encore, lorsque je t’ai prise dans mes bras. Nous étions près de la fenêtre et je t’ai montré les étoiles qui étincelaient ce soir-là. Ah ! que je voudrais tant retrouver ce bonheur passé !                                      

Après l’accouchement, la santé de ta maman s’est dégradée. Sa tête était douloureuse et les fièvres l’ont prise. Elle avait des hallucinations, entendait des voix et voyait des images atroces. Moi, je devais continuer mon travail, je n’avais pas la tête à ça, mais il fallait payer les factures. Alors, ta tante Agathe, la sœur jumelle de ta maman, est venue nous épauler. Elle aussi avait une enfant en bas âge. Je la connaissais très peu car elle vivait à plusieurs centaines de kilomètres de chez nous. Mais ce que je peux te dire, c’est qu’elle s’est occupée de ta maman admirablement. Elle lui préparait des décoctions pour la calmer, l’alimentait comme un nourrisson, lui parlait, la massait... Elle est restée plusieurs mois à son chevet, hormis le dimanche où elle allait rejoindre son ami, un jeune étudiant, le père de sa fille. Petit à petit, Jade a repris quelques forces. Un jour, elle est sortie toute seule… il marqua une pose, et la gorge serrée il continua.

Ce jour-là on l’a retrouvée mourante dans les bois. On a pensé à un accident, une mauvaise chute car elle était encore fragile. Seule Agathe était persuadée qu’il s’agissait d’une agression. Je me souviens bien de sa colère et de ses larmes. Elle se sentait responsable. La dernière fois que je lui ai parlé elle m’a dit : « Guy, je te le jure, je trouverai le coupable ».

Maya eu un sursaut, elle ne put s’empêcher de faire le rapprochement avec sa propre réaction au sujet d’Ayma. Elle avait donc une tante Agathe ! Elle ouvrit plus grand les yeux comme si elle allait plus facilement capturer les mots prononcés par son père.

- Et puis elle a disparu, continua Monsieur Poulain, personne ne l’a plus jamais revue. Le père de ta maman, ton grand père, n’a pas supporté la disparition de ses deux filles. Il s’est éteint l’hiver suivant d’une mauvaise grippe. Qu’il repose en paix… il nous a légué tout un tas d’objets et de papiers que je n’ai jamais eu le courage de trier. Il y a sans doute des photos de ta mère et de sa sœur. Tout est au grenier dans un coffre, si tu veux y jeter un coup d’œil…

- et le mari d’Agathe, il est devenu quoi ? tu le sais ?

- Non, après la mort de ta mère, j’ai plus eu envie de rien… j’étais détruit. Je n’ai tenu bon que pour toi… j’ai même abandonné mon métier de menuisier… j’ai préféré repartir de zéro dans l’usine KOOR. On m’a donné ma chance et voilà, ma chérie… il faut encore recommencer.

Il se leva, le visage serein, sans nul doute heureux de s’être délivré d’un poids.

- maintenant, si tu veux bien, je vais aller m’allonger un peu… ah oui ! j’allais oublier. Le petit guéridon là, c’est le meuble que ta maman m’avait commandé pour son père.

Il s’éloigna nonchalamment et Maya resta avec toutes les images, les moments de la vie de son père. Le cœur débordant d’émotion, elle pensa au coffre dans le grenier à côté duquel elle était passée maintes et maintes fois sans savoir quoi que ce soit des précieuses informations qu’il détenait. Elle allait enfin comprendre bien des choses. Pour l’heure elle était bien trop fatiguée pour entreprendre des recherches, elle se laissa bercer par flamme chaleureuse et s’endormit profondément.

 

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 22:32

Pour en avoir le cœur net Maya décida de rendre visite à son voisin Capitaine de police, Monsieur Piole.

Elle revêtit son manteau de laine rouge, son bonnet assorti et enfila ses petites bottes fourrées. Elle ne manqua pas de déposer sur le front soucieux de son père un petit baiser rassurant. Puis, elle se rendit chez ses voisins.

 

 Le Capitaine était un homme d’expérience et il pouvait se vanter d’avoir fait avancer des enquêtes comme celle «  des disparus de la plage aux galets » ou celle  « du trafic de cigarettes » ou encore la fameuse affaire « des objets d’art, de la cathédrale, dérobés » objets qui avaient été retrouvés grâce à son flair.

Maya connaissait bien sa réputation et lui vouait une admiration sans borne depuis sa plus tendre enfance. Il vivait avec sa vieille mère, une institutrice en retraite qui était devenue la grand-mère de substitution de Maya tout naturellement. D’ailleurs, elle aidait volontiers la fillette à compléter ses exposés et la guidait dans ses choix de lecture. Entre elles une affection s’était installée au fil des années et c’est pour cela que Maya l’avait spontanément appelée Mamie.

Mamie était une force de la nature. Toujours active à près de soixante-quinze ans, elle jardinait et cuisinait, s’occupait de sa maison, de ses courses et se promenait une heure tous les jours. Elle était dotée d’un caractère bien trempé dont son fils chéri faisait souvent les frais. Il avait beau être Capitaine de police, invariablement elle l’appelait mon petit garçon. Pourtant son « petit garçon » était loin d’être petit, puisque sa taille avoisinait les deux mètres.

Chez Mamie, il y avait toujours des friandises à grignoter et de bons jus de fruits à déguster. En plus de cet accueil gourmand, Maya prenait plaisir à bavarder avec elle.

La fillette sonna à quelques reprises pour se faire entendre car la vieille dame était un peu dure d’oreille. Un moment après, elle reconnu le son des petits pas alertes de Mamie.

Comme à l’accoutumée, elle fut accueillie par le sourire rayonnant de la petite dame encore coquette. Elle portait un pantalon noir satiné et un pull en cachemire rose saumoné. Ses cheveux roux, courts tenaient en place grâce à une grande quantité de laque.

- Ah ! ma petite Maya, je suis contente de te voir ! Ça faisait un moment que tu n’était pas venue ! Entre… Viens, assieds-toi. Je vais te chercher un goûter.

-  C’est pas la peine Mamie, ne te dérange pas pour moi.

Elle n’avait pas relevé le « ça fait un moment que je ne t’ai pas vue », car Mamie avait la mémoire chancelante. Cela faisait à peine quelques jours qu’elle lui avait rendu visite et elle l’avait déjà oubliée ! Maya ne s’était pas attardé c’est vrai, elle avait juste fait un tour dans le jardin pour vérifier si son chat, Fripon, ne s’y était pas réfugié.

Paradoxalement, Mamie se souvenait parfaitement des histoires du passé. Maya se régalait à l’écouter. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle avait appris dans les moindres détails les affaires que le capitaine avait résolues. Mamie avait des talents de conteuse impressionnants. Il lui suffisait de quelques phrases pour que Maya se retrouvât littéralement happée par son histoire.

Il en était une qui, il y a une dizaine d’années, défrayait la chronique et dont personne jusqu’à ce jour n’avait percé le secret, pas même le capitaine Piole. Il s’agissait d’un presque homme qui semait la terreur dans les campagnes environnantes et même en ville. Le soir venu, il surgissait là où on l’attendait le moins et disparaissait immédiatement après avoir commis ses forfaits. Ses victimes, uniquement des femmes, lorsqu’elles le croisaient en perdaient soit la raison, soit la vie. Peu d’entre elles en sortirent indemnes, une seule en réalité.

Grâce à son témoignage, on avait appris que l’individu était gigantesque, que son visage n’avait rien d’humain. Ce Monstre sévissait régulièrement dans la région en toute impunité car jusqu’à présent personne n’avait pu lui mettre la main au collet. Il avait habilement déjoué tous les pièges tendus par la police, c’est dire s’il était malin.

Mamie revint de la cuisine chargée d’une boîte de biscuits en métal. Elle la présenta à son invitée. À la vue de ces pâtisseries, le ventre de Maya se mit à gargouiller. Sans hésiter une seule seconde, elle plongea la main dedans.

- Merci Mamie, ce sont les fameux gâteaux que tu prépares pour Noël ?

- Oui, tiens… Ceux-là… Ils sont aux amandes, tu en as au beurre, et tiens, ceux-ci sont au citron. Ce sont mes préférés, dit-elle ses petits yeux pétillants de gourmandise.

- Je ne devrais pas… Elle se laissa tenter et en croqua un. Si mon docteur me voyait ! il me gronderait.

- Miam ! ils sont tellement bons tes gâteaux Mamie… on peut pas résister.

- Prends-en un autre.

Maya ne se fit pas prier.

- Prends, prends, n’aie pas peur. Alors, qu’est ce que tu racontes à ta vielle Mamie ?

Maya ne voulut pas ennuyer Mamie avec ses préoccupations, elle préférait en parler directement au Capitaine. Elle se dit qu’en l’attendant, il serait intéressant de savoir s’il y avait du nouveau sur l’affaire du Monstre.

- J’ai un renseignement à demander au capitaine… Y a nouveau sur le Monstre ?

- Non, rien du tout. On dirait qu’il a disparu celui-là… Ah ! j’entends la clé, ce doit être mon Paul.

Elle se leva et s’avança au-devant de son fils.

Maya les observa, lui si grand, si costaud, elle si minuscule, si frêle. Elle se demanda comment Mamie avait pu enfanter une personne avec de telles proportions. Lorsqu’elle était en présence de cet homme, Maya se sentait en sécurité, il incarnait la force, la puissance et la loi.

Le Capitaine invita Maya à entrer dans son bureau. Elle dût abandonner, non sans peine, les délicieux gâteaux de Mamie mais le Capitaine lui ouvrait l’intimité de son domaine pour la première fois. C’était le signe d’une grande confiance, Maya en fut très flattée. Elle pénétra dans la pièce spacieuse. Il y avait un grand bureau dans un coin et une jolie vitrine renfermait une collection de montres à goussets. De l’autre côté, des étagères disparaissaient sous des piles de dossiers. Maya lui exposa son raisonnement.

- Qu’est ce que tu me dis là Maya ! tu crois que des ouvriers, des employés de KOOR se seraient vengés de Rénald en blessant sa fille ? pourquoi ? parce qu’ils se retrouvent au chômage ?

- Oui. Moi je crois que c’est une bonne raison. Affirma Maya.

- Bon, admettons, D’accord… mais pour l’instant il n’y a pas de preuves de ce que tu avances.

 - Des preuves, ça doit être facile à trouver. D’abord, on relève les empreintes et puis, il doit bien y avoir des traces !

- Attention Maya, tu ne dois pas trouver des preuves à tout prix, pour étayer ce que toi tu prétends, si tu vois ce que je veux dire…  Il arbora un sourire large, laissant apparaître une rangée de dents aux dimensions XXL.

Maya fut vexée de n’être pas prise au sérieux. Elle fit la moue.

- Bon, je vais te rassurer, Maya. Ton amie a été victime d’un accident, voilà tout, tu ne dois pas te tracasser davantage.

- Mais les journaux disaient qu’elle était évanouie dans l’entrée de la maison. Alors j’ai pensé qu’elle avait pu ouvrir à quelqu’un qui voulait parler à son père… Et voyant Emma toute seule… il l’aurait assommée… Vous voyez comme ça. Elle leva le bras et rabattit le poing devant elle pour illustrer son raisonnement.

- Hum, je ne crois pas que ça s’est passé comme ça. Tu connais ma réputation ? alors fais-moi confiance, personne ne s’est attaqué à Emma.

Maya haussa les épaules, elle n’était pas tout à fait convaincue par les belles paroles du capitaine. Elle pensa qu’il s’agissait d’une manœuvre pour la rassurer. Cela était tout à son honneur, cependant elle riposta.

- Rien ne prouve qu’elle n’ait pas été attaquée. L’autre jour, je suis allée à l’assemblée générale des ouvriers de KOOR avec papa et j’ai entendu le discours de Maurice. Il appelait à la modération, il a même dit que certains étaient allés trop loin.

- Il a parlé d’Emma ?

- Non, mais quand Monsieur Rénald est entré dans la salle tout le monde s’est tu. Et puis, quelqu’un lui a apporté une chose dans un sac en plastique et lui a parlé à l’oreille.

- Oh !oh !oh ! tu as beaucoup d’imagination, Maya. Si tu veux entrer dans la police, je peux te pistonner. Hé ! hé !

Il lui tapota l’épaule amicalement. Il sentit alors que la fillette n’avait pas fini.

- Tu voulais me dire autre chose ?

- Papa… Lui aussi a été licencié.

- Alors raison de plus, rajouta-t-il. Logiquement, ton père fait partie de la liste de tes suspects. Alors réfléchis à tous ces pauvres bougres qui ont perdu leur boulot, ça ne fait pas  forcément d’eux des malfaiteurs en puissance.

Il conduisit Maya à la porte et la laissa sur ces mots :

- Penses-y…

Sur le chemin du retour, Maya s’arrêta devant la maison de Rose, la voisine de Mamie. Pouvait-on vraiment parler de maison, il s’agissait plutôt d’une habitation rudimentaire, d’une cabane, qui avait poussé au beau milieu d’un champ de mauvaises herbes et de matériaux de récupération. Rose vivait isolée et avec peu de moyens. Manger et se chauffer correctement n’étaient pas ses principales priorités. Elle préférait prendre soin de ses bêtes, chats et chiens errants, qu’elle récupérait et remettait sur pied. L’hiver était rude cette année, si Rose ne chauffait pas suffisamment, vu son âge, cela pouvait bien lui être fatal. Maya fut rassurée, lorsqu’elle aperçut de la buée sur les carreaux. Elle ne s’attarda pas et fila chez elle.

Après son entrevue avec le Capitaine, Maya se sentit un peu apaisée. Il avait raison sur un point, elle était allée un peu trop loin en accusant les ouvriers de KOOR, dont son père faisait partie. D’un autre côté la thèse de l’accident ne paraissait pas vraisemblable. Ces pensées fourmillèrent dans sa tête.

Il était tard, allongée sur son lit dans le noir, « plus que quelques heures avant de voir Emma ! » songea-t-elle. Elle fixa les étoiles fluorescentes collées au plafond de sa chambre. Bientôt, ce ciel artificiel disparut pour laisser la place à de vastes cieux parsemés de constellations. Peu à peu, absorbée par ce tourbillon galactique, la chaleur la gagna, ses membres se détendirent et elle s’endormit paisiblement.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 22:17

 

Monsieur Poulain travaillait au contrôle des machines de la biscuiterie KOOR qui se situait au nord de la ville et qui représentait depuis toujours le symbole d’une région prospère. Malheureusement, elle battait de l’aile depuis un certain temps et il fit partie de la deuxième charrette de licenciement. Au moment où commence l’histoire, il venait d’apprendre la  mauvaise nouvelle et se sentait plus abattu que d’habitude. Lui, qui considérait n’avoir jamais eu de chance dans la vie pensa que le sort s’acharnait contre lui. Veuf, avec trois enfants à charge, il se demanda comment il allait pouvoir joindre les deux bouts.

C’était un homme grand et maigre qui se déplaçait  à grands pas. Son teint pâle et son allure longiligne contribuaient à lui donner une allure spectrale. Son visage était parcouru par de longues rides, chacune témoignant des coups durs qu’il avait dû endurer tout au long de ses cinquante années de vie.

 Au volant de sa vieille voiture, il réfléchit à la manière avec laquelle il annoncerait la nouvelle à ses enfants. Pour se donner du temps, il emprunta le périphérique, qui n’était pas le chemin habituel, passa par l’avenue de la République tourna à gauche rue Pasteur et traîna quelques minutes dans les embouteillages. Lorsqu’il arriva dans le boulevard Louis qui descendait jusque dans sa rue, il ralentit l’allure espérant ainsi retarder un peu plus le moment où il retrouverait sa maison.

A peine eut-il mis un pied, que dis-je, une oreille chez lui qu’il entendit les pleurs de Maya, la petite dernière. Cela lui serra le cœur, mais dans un sens il se sentit soulagé de penser qu’elle était peut-être déjà au courant de son licenciement. Dans leur petite ville de province les nouvelles allaient bon train.

Son manque de courage contribua à l’accabler davantage. Il respirait fort et peinait à chaque pas. Avant de se rendre auprès de sa fille, il s’arrêta devant le buffet dans le salon pour y déposer ses clés et ses papiers, puis il jeta son pardessus sur le portemanteau. Arrivé à la hauteur de son fauteuil de lecture râpé il poussa un soupir. Il évita de justesse le petit guéridon semblant enchaîné au fauteuil comme le sont les oiseaux que l’on nomme inséparables.

Au passage, il fit une pause devant la gamelle pleine, de Fripon, toujours intacte depuis des semaines. Le chat avait n’avait toujours pas refait surface.

 

Chaque fois qu’il entrait dans la chambre de sa fille Monsieur Poulain ressentait une grande joie l’envahir ; mais pas cette fois. Malgré la gaîté du lieu qui détonnait avec le reste de l’habitation la détresse dans laquelle il trouva Maya rajouta à son angoisse. Pourtant, les posters de TOTORO, des SIMPSONS et quelques autres, affichés ça et là sur les murs recouverts du papier peint vert prairie, décoraient toujours la pièce. La petite étagère qu’elle avait ornée de bibelots et le monticule de peluches, qui nappait sa couette rose fleurie, n’avaient pas bougé.

Maya était assise sur son lit, au sein de cepetit univers très coloré qui illustrait bien son caractère vif et joyeux. Le menton posé sur ses genoux, elle tirait machinalement sur ses chaussettes. Son  père entra et elle releva la tête livrant ainsi son visage défait, maculé de plaques rouges. Ses yeux débordant de larmes en disaient long sur son chagrin. Monsieur Poulain s’installa sur le bord du lit et lui passa sa grande main osseuse dans les cheveux.

-  Ça ne va pas ma chérie… Alors tu sais pour… Lui dit-il en adoptant un ton doux.

Maya secoua la tête. Quelques fines mèches de sa chevelure blonde vinrent cacher son joli minois rond et lui chatouillèrent son petit nez pointu. Elle chercha le réconfort contre le torse sec de son père.

-  Ne te mets pas dans cet état… Ça va s’arranger…

-  Je me sens si triste, papa !

-  Calme toi ma chérie, calme toi, chut…Il faut avoir confiance. Lui chuchota-t-il dans le creux de l’oreille.

-  Mais c’est trop injuste ! s’insurgea-t-elle.

Ces mots entrecoupés de sanglots lui sortirent du cœur tel un boulet de canon.

- Oui, je sais c’est injuste… Mais on va se débrouiller, dit-il se voulant rassurant, Joaquim et Robin sont des bons gars, tu verras on va s’arranger.

Maya eut un sursaut.

-  Mais comment ? s’écria-t-elle.

- Je ne sais pas encore, mais j’ai confiance… Tu vois ce n’est rien qu’un boulot comme un autre, j’en trouverai un bien mieux, dit-il en lui prenant le menton affectueusement et en écartant une mèche rebelle de son front.

Maya ouvrit grand les yeux, elle les plongea dans ceux de son père pour y chercher une explication. Elle se demanda pourquoi il lui parlait de son travail. Depuis le début de la conversation, elle avait autre chose en tête.

- Tu ne sais pas pour Emma, alors ? s’étonna-elle.

-  Je ne… Non… Pourquoi ? bredouilla-t-il en se redressant.

- Elle est à l’hôpital, papa… Dans le coma. Elle a eu un accident !

- Un accident ! Merde alors ! laissa-t-il échapper. Pauvre petite ! mais quelle sale journée !

 

Ils restèrent un moment enlacés l’un l’autre sans un mot de plus. Puis, quand il sentit Maya apaisée, il s’arracha à elle et retourna vers son fauteuil de lecture délabré dans le salon. Il s’y laissa tomber, déroula ses membres rouillés, les étala à la manière des étoiles de mer. Ainsi affalé il s’abandonna à ses pensées.

Ah ça ! ce n’était pas une bonne journée… Toutes ces mauvaises nouvelles ! et sa fille chérie si inquiète pour Emma.

Emma, qui n’était autre que la fille unique de celui qui venait tout juste de le licencier.

 

 

 Maya et Emma était devenue les meilleures amies du monde en un temps très bref. Cela ne faisait pas encore un an qu’Emma était venue s’installer dans la ville avec son père.

On lui avait confié le poste de Président Directeur Général de la grande usine KOOR dans le but qu’il redressât la société afin d’éviter sa faillite et sa fermeture. Beaucoup de familles fondaient l’espoir que le nouveau venu saurait écouter leurs craintes. Mais ce ne fut pas le cas. Monsieur Rénald était un homme très réservé et fermé qui se cachait derrière de grosses lunettes sombres et une barbe touffue. Il parlait peu et agissait de manière peu appréciée.

Emma avait comme seuls points communs avec son père l’arrête de son nez et ses cheveux d’un noir de geai. A l’inverse, elle était volubile et légère, souriante et gracieuse.

Dès son arrivée au Collège Clemenceau, Maya la remarqua. Cette attirance fut réciproque et en peu de temps elles se découvrirent une multitude de points communs. Elles adoraient le gratin de courgette (ce qui n’est pas courant !) et détestaient les chewing-gums à la menthe (ce qui ne l’est pas plus !), elles avaient un goût immodéré pour les grands romans d’aventure et pour les balades dans la nature où elles s’inventaient des histoires imaginaires, un seul regard suffisait à leur déclencher une crise de fou rire… on pourrait énumérer leurs points communs jusqu’à la Saint Glinglin qu’on n’aurait pas fini.

Très vite elles eurent l’impression de s’être toujours connues. Cette amitié fusionnelle en fut d’autant plus exigeante.

Maya se souvint dans quelles circonstances elles l’avaient scellée.

 

Maya et Emma aimaient se rendre au collège ensemble. Ce rendez-vous quotidien était devenu un petit rituel nécessaire à leur bonne humeur pour la journée. Sur le chemin, les deux adolescentes insouciantes partageaient des fous rires et des secrets et tout ce qui permet de construire une belle une amitié.

Un matin, lorsqu’elles franchirent le portail d’entrée du collège, Maya eut un drôle de sentiment. Pas de brouhaha habituel qui vous oblige à élever la voix pour vous faire entendre, pas de course poursuite que l’on évite au dernier moment, rien de joyeux; le collège semblait avoir perdu son âme. Les élèves se retournaient sur leur passage et chuchotaient.

Une petite bande de jeunes en colère se dégagea des autres et entoura Emma.

- Tu n’as pas peur toi ! lança un garçon à la mine renfrognée.

Emma ne se laissait pas intimider facilement, aussi elle répliqua du tac au tac.

- Et de quoi devrais-je avoir peur ? de toi ? se moqua-t-elle.

- De nous ! braillèrent quelques autres derrière.

L’attroupement grossit et Maya si proche l’instant d’avant disparut. Emma la chercha des yeux. 

- Qu’est ce que je vous ai fait ? elle s’efforça à ne pas se montrer vulnérable.

- C’est ton père, il vire tout le monde ! beugla un gaillard.

-  à cause de ton père le mien n’a plus de boulot ! rajouta une fillette à la voix fluette.

- mais qu’est-ce que j’y peux moi ? ce n’est pas m’a faute ! et puis, d’abord s’il le fait c’est qu’il a de bonnes raisons, mon père !

- Si tu lisais les journaux, ben, tu saurais que non ! s’exclama une fille.

Tandis que Maya tenta de progresser en direction d’Emma, les collégiens agglutinés en masse autour d’elle l’en empêchaient.

- Mon père fait ce qu’il lui semble juste. Laissez-moi tranquille, maintenant…

Personne  n’avait envi de laisser la fille du PDG tranquille, aussi les élèves continuèrent à la harceler jusqu’à ce qu’un professeur intervînt et dispersât les agitateurs. Emma, la courageuse avait fini par craquer. Elle pleurait à gros sanglots lorsque Maya l’attrapa par l’épaule pour la consoler. Emma la repoussa.

- Est-ce que tu es toujours mon amie Maya ? jure-moi que tu ne penses pas comme eux.

- Bien sur que je suis ton amie. C’est nul ce qu’ils t’ont dit, tout ça c’est pas ta faute !

  - Alors pourquoi tu n’étais pas avec moi pour me soutenir ? où est-ce que tu étais ?

- J’ai voulu te rejoindre mais j’ai pas réussi… je te jure que…

- Tu mens. Affirma-t-elle fâchée.

- Non ! Ils étaient tous autour de toi et je ne suis pas une menteuse … que veux-tu que je te dise de plus ? Tu veux une preuve, hein ? dis-moi ?

- C’est à toi de trouver, on se voit ce soir et j’espère que tu auras une idée.

 Là dessus, Emma tourna les talons. Aveuglée par la colère, malheureuse, elle doutait de la sincérité de Maya.

 

 

A la fin de la journée, Maya et Emma avaient rejoint l’orée de la petite forêt qui borde le bas côté de leur collège.

- Tiens, voilà, j’ai bien réfléchi, déclara Maya. On va faire un pacte. Regarde…

Elle décrocha l’épingle qui maintenait un imprimé aux couleurs écologiques sur son sac de classe. Puis, elle nettoya la pointe de l’épingle avec un peu de salive et sans hésiter elle se piqua la paume de la main. Aussitôt, une minuscule goutte de sang perla.

Emma fixa chacun de ses gestes avec ses prunelles noires. Elle récupéra l’épingle, puis elle ouvrit sa main et piqua au même endroit. Dans la seconde qui suivit une fine gouttelette brillante apparut.

Le soleil avait disparu laissant la place à un croissant de lune et les silhouettes géantes des arbres composaient autant de témoins de ce moment solennel. Elles mêlèrent leur sang en pressant leurs petites mains l’une contre l’autre, sans un mot. Quand le battement d’aile d’un oiseau vint rompre le silence, sans se lâcher ni se quitter des yeux, elles prêtèrent serment.

Chacune à leur tour pour commencer, puis d’une même voix.

« Comme des sœurs pour toujours ! »

Persuadées de prononcer  une formule magique…

 

 

«  Melle Rénald, fille du Président directeur général de la biscuiterie KOOR, a été victime d’un mystérieux accident dans sa maison de la rue des Tourettes. Elle a été emmenée à l’Hôpital Saint Antoine inconsciente et de source sure, elle serait actuellement dans le coma…

…Cela faisait des mois que la grogne de ouvriers durait pourtant Monsieur Rénald restait insensible à leur revendications et à l’avenir d’une région tout entière. Comment peut-on interpréter cet évènement, est-ce un signe destiné à rendre un peu d’humanité à cet homme insensible etc… »

 

Maya avait appris la nouvelle de l’accident D’Emma par le Bulletin, le journal gratuit distribué aux coins de rues et aux stations de tram.

Cela faisait quelques jours qu’elle n’avait plus de nouvelles de son amie, mais elle ne s’était pas inquiétée plus que ça car il lui arrivait à elle aussi de rater les cours à cause de ses migraines fréquentes.

Quel choc ce fut d’apprendre le coma d’Emma par la presse et surtout quelles allusions scandaleuses ! insinuant que l’infortune d’Emma était un juste retour des décisions de son père à l’égard des ouvriers de KOOR.

Elle réfléchit un instant et un scénario lui vint à l’esprit.

Et si quelqu’un s’était introduit dans la maison pour se venger du père d’Emma... Peut-être qu’Emma avait surpris ce quelqu’un… peut-être, même, que ce quelqu’un avait agressé Emma pour mieux atteindre son  père…

Cette idée lui fit horreur… mais comment ne pas y penser ?

Chacun sait qu’un enfant est la chose la plus précieuse au monde aux yeux de ses parents, plus encore lorsqu’il représente son unique famille. C’était le cas du père d’Emma.

On avait voulu intimider le PDG « insensible », en se servant de sa fille unique.

Oui… cela ne fit aucun doute dans l’esprit de Maya.

 

 

 

 

 

 

 

 
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